Michel Volle avait démontré dans e-conomie et De l'informatique à quel point l'informatisation structure l'économie moderne, comme la révolution industrielle avait structuré l'économie des XIXème-XXème siècles.
Comment cette grille de lecture permet-elle de comprendre la crise actuelle ? C'est l'objet d'un article du 10 octobre sur son site.
"L’automate (informationnel) doit … être contrôlé par des êtres humains qui sauront pallier ses défaillances et réagir en cas d’incident imprévisible.
Mais on a pratiquement toujours procédé à l’inverse. Dans l’architecture informatique d’une grande entreprise l’accumulation des composants techniques, élaborés par des fournisseurs différents et le plus souvent mal documentés, forme un empilage d’une telle complexité que plus personne ne peut la maîtriser ni moins encore la comprendre.
« The Wall Street titans loved swaps and derivatives because they were totally unregulated by humans. That left nobody but the machines in charge » (Richard Dooling, « The Rise of the Machine », The New York Times, 12 octobre 2008).
… L’informatisation … a encouragé (les dirigeants), voire même contraints, à prendre des risques extrêmes.
L’art de la finance réside dans la maîtrise de l’arbitrage entre rendement et risque … Or l’informatique a permis de lancer d’un simple clic les opérations les plus compliquées, ... et la simplicité de la manœuvre a masqué la complexité de l’opération.
Par ailleurs les réseaux ont permis d’unifier le marché financier mondial. Il a été dès lors possible de diluer le risque en logeant les placements les plus dangereux dans les actifs apparemment les plus sûrs. Dès lors le risque disparaissait, ou semblait disparaître, car le système financier tout entier en était solidairement garant : la catastrophe, si elle se produisait, serait systémique, la Terre s’arrêterait de tourner. Or la Terre ne peut pas cesser de tourner : donc il n’y avait plus aucun risque !
… Cela rappelle irrésistiblement la fameuse phrase d’Hitler : « l’énormité d’un mensonge est un facteur de crédibilité » – jusqu’à la catastrophe finale exclusivement, bien sûr.
… Le risque a été supprimé en apparence par son énormité même – et c’est l’apparence qui guide les comportements.
Pour encourager cette « innovation financière » les politiques ont … débranché les signaux d’alarme tout comme l’avaient fait les opérateurs de la centrale de Tchernobyl … Ce qui s’est passé à Fannie Mae l’illustre parfaitement.
Pour une telle entreprise, le danger était de garantir des hypothèques douteuses : elle pouvait être mise en faillite si de nombreux débiteurs faisaient défaut. Désireux de défendre sa part de marché, Daniel M. Hudd, le CEO, a exigé que Fannie Mae prenne ce risque-là. Un cadre devait soit accepter de violer les règles de sécurité, soit quitter l’entreprise. Le directeur de la sécurité estimait que Fannie Mae devait réclamer des taux plus élevés, il annonça la bulle immobilière : il ne fut pas écouté et finalement Hudd le chassa de l’entreprise.
Maintenant, ça y est : la catastrophe systémique s’est produite,… On découvre, avec horreur, que l’ensemble des actifs financiers a été contaminé tout comme la Camorra a pollué la Campanie en remplissant les carrières, les caves, le moindre trou par des décharges sauvages de déchets empoisonnés : lisez Gomorra, de Roberto Saviano, et vous pourrez vérifier la pertinence de cette analogie. …
Ici s’impose une analogie avec l’art militaire. Lorsque des armes nouvelles sont mises à la disposition des armées celles-ci doivent définir la « doctrine d’emploi » de ces armes. Si l’armée française a été vaincue en 1940 c’est parce que l'Allemagne … avait défini une meilleure doctrine d'emploi. …
Nous ne disposons pas, aujourd’hui, de la doctrine d’emploi de l’informatique et de la séquelle de corollaires que l’on nomme « économie de l’immatériel », « économie cognitive », « économie de la connaissance » etc. La crise financière actuelle, certes grave, révèle cette carence et celle-ci nous menace d’une crise économique plus profonde encore. …
Lorsqu'une innovation fondamentale transforme notre rapport à la nature, … la théorie économique s'affole : … la plupart des modèles économiques postulent que la fonction d'utilité (qui décrit le consommateur), la fonction de production (qui décrit l'entreprise) sont statiques : ils ne permettent pas de se représenter leur dynamique, la façon dont elles évoluent en réponse à un changement du rapport à la nature."
Il n'y a plus qu'à !…
Moi je trouve ca bien que l'europe soit unie pour sortir de cette crise ! Pour une fois que l'on est tous ensemble...
Volle toujours aussi brillant....
J'ai lu ceci dans le Rapport sur la crise financière préparé par René Ricol pour le Président de la République.
“A titre d’illustration, on notera que dans certaines banques, en raison du fonctionnement des systèmes d’information, les conseils ne sont plus informés des positions globales de trading mais des positions nettes. Ainsi, lors d’une crise, ils n’ont pas conscience de la totalité des sommes en jeu. On peut penser que si les systèmes de reporting avaient été mieux conçus, ils auraient pris les mesures prudentielles nécessaires et que l’exposition des banques aurait ainsi été moindre. Plus généralement, des produits devenus trop complexes pour être compris par le management d’une banque devraient attirer l’attention et, en conséquence, ne plus être utilisés”.
Je ne suis pas sur que le logiciel libre apporte une réponse à ce type d'obscurité, qui concerne plus les relations entre traders et les gens qui sont supposés les superviser.
http://www.minefe.gouv.fr/direction...
Dans la quête des causes et des responsables de la crise financière en cours (subprimes, hedge funds et les CDS..) on retrouve... les logiciels de traitement d'ordres, et notamment les algorithmes de transaction automatisées
Les "algotrades" avaient dejà été mis en cause lors du krach de 1987 : la chute des valeurs à un niveau x provoquait la vente automatique de ces valeurs, ce qui, tout aussi automatiquement, les faisait chuter jusqu’au niveau y, etc.). En 1987, les regulateurs des autorités bancaires avaient demandé aux etablissements financiers de "desactiver" ou de "geler" les programmes informatiques d’évaluation des cours, de manière à prévenir l'emballement des ordres automatiques de vente et l'effet boule de neige qui en résulte.
En 1997, ces « coupe-circuit » ( circuit breakers) se sont révélés inefficaces. Le 27 octobre 1997, après une chute des cours de 350 points, un de ces « coupe-circuit » a interrompu les cotations pendant une demi-heure. Ce qui a permis à la panique de se généraliser. Vingt-cinq minutes après la reprise, les cours avaient perdu 250 points de plus, ce qui déclencha un deuxième « coupe-circuit ». Et interrompit cette fois les cotations pour le reste de la journée...
http://www.monde-diplomatique.fr/19...
En 2008,, ce sont surtout les logiciels de mesure du risque qui sont mis en cause, et notamment l'écart entre le risque "réel" et le risque "marché".
Was software responsible for the financial crisis?
http://www.guardian.co.uk/technolog...
Merci Maurice, que voilà du contenu !
Le mécanisme semble bien différent de celui de 1997 au plan informatique, dans les deux cas l'informatique a permis à une pyramide (bulle) financière globale de gonfler - Cf. la conclusion de l'article du Monde diplo de 1997 : "L’actuelle frénésie boursière rappelle à bien des égards la situation des 'pyramides financières' albanaises. Les gens qui investissent leur épargne en Bourse s’enrichiront aussi longtemps que les marchés continueront de monter et qu’eux-mêmes continueront d’investir en Bourse..."
En complément du Guardian, un dossier nourri dans Le Figaro de ce jour : http://doiop.com/maths_figaro