(Il est vrai que personne ne me demande de le faire).
Je ne vais pas me voiler la face, j'ai du mal à prendre une position carrée sur le "voile intégral dans les lieux publics".
Et je sais pourquoi : parce que je ne suis pas du tout représentatif. Je m'attends donc à ce que la majorité ressente les choses différemment de moi. Je m'attends à ce que, pour la majorité des Français, se cacher le visage soit interdit dans les lieux publics. Je te vois, tu me vois, comme sur Pandora.
Je ne suis pas représentatif, parce que j'ai habité deux ans au Burkina Faso à la fin des années 80. Avec mes camarades volontaires en ONG, nous avions été très bien formés avant le départ. Formés à admettre a priori, devant chaque événement qui nous étonnerait, chaque coutume qui nous semblerait absurde, chaque comportement qui nous choquerait, formés à admettre a priori qu'il y a une bonne raison. Admettre que quelqu'un comme nous, placé dans la même situation, avec la même histoire, pourrait bien se comporter pareil.
En deux ans, j'ai calé 4 ou 5 fois dans l'application de ce principe. Je me suis dit "non, ça, ça ne peut pas. On ne verra jamais ça chez nous".
C'étaient... une grève des infirmières. Les vernis à ongles vert d'eau et bleu cyan. Et les femmes "wahhabites" voilées de la tête au pied, ombres noires sous le soleil de plomb.
Tout faux : on a eu les grèves des infirmières dès 1988, les vernis beurk ont suivi de près, et les silhouettes noires dans Argenteuil.
Je ne vais pas me voiler la face. Je ne vais même pas mettre de lunettes de soleil. Je déteste ça. Je regarde les gens dans les yeux et ils peuvent voir les miens. Je te vois, tu me vois, comme sur Pandora.
Je ne ferais qu'une seule remarque, car ce débat est bien compliqué et que je n'y participe pas, grossomodo pour la même raison que toi, et pour cause... j'ai vécu 9 mois à Ouagadougou, c'était en 2002/2003, et j'avais aussi été très bien formé aux différences interculturelles.
Ma remarque est que je n'y ai vu que très, très peu de femmes wahhabites voilées. Or ce que je croyais alors être nouveau (je suis arrivé un an après les attentats du 11 septembre), datait d'au moins 15/20 ans, d'après ton témoignage.
Je suis retourné au Burkina plusieurs semaines en 2005 et en 2007. Toujours pas plus de femmes voilées intégralement. Cette pratique n'a donc pas progressé. C'est ma seule remarque.
Ça ne fera pas avancer le débat en France, mais au moins, je ne me fais pas une montagne de l'avancée de l'extrémisme islamiste dans le monde.
Je passe te souhaiter de bonnes fêtes de fin d'année à toi et à toute ta famille
Philippe
Merci à tous deux ;
GuillaumeD : effectivement lors de mon dernier séjour au BF en novembre dernier je ne me souviens d'avoir vu aucun "voile intégral". Mais peut-être est-ce mon regard qui ne remarque plus cette particularité vestimentaire.
À la fin des années 80, j'entendais dire que les wahhabites représentaient de l'ordre de 1% des musulmans du BF. Mais la statistique était peut-être pifométrique, voire fluctuante selon la présence séoudienne ?, et j'ignore si toutes les femmes de familles suivant le rite wahhabite, étaient effectivement voilées.
J'ai visionné hier une vidéo de Frank Lepage, un comique (si l'on peut dire) qui tente de faire de la vulgarisation politique. Il dit beaucoup de choses très justes, dont celle-ci (je résume) :
"Il s'agit de savoir si on veut faire du politique ou du culturel. Faire du politique, c'est émettre des jugements de valeur. C'est dire : ceci vaut mieux que cela. Alors que faire du culturel, c'est tout mettre sur le même plan et s'interdire de juger. Le politique, c'est comme ça (il met sa main gauche 10 cm au dessus de sa main droite) et le culturel c'est comme ça (il bascule ses deux mains de sorte qu'elles sont maintenant parallèles, l'une à gauche et l'autre à droite). Dans le premier cas, vous interdisez l'excision, dans le second cas, vous dites : Ben non, l'excision, c'est un fait culturel, je ne vois pas pourquoi une culture se permettrait de donner des leçons à une autre..."
Il n'y a aucune raison de s'interdire de juger politiquement un fait culturel. Tout n'est pas respectable au motif que c'est culturel. Les sacrifices humains étaient culturels. L'anthropophagie rituelle était culturelle. L'excision est culturelle. L'esclavage est culturel. Et alors ? Faut-il pour autant les accepter ?
La notion de progrès suppose et contient la notion de retard. Si quelque chose est un progrès, cela signifie obligatoirement que ceux qui ont cette chose sont en avance sur ceux qui ne l'ont pas ; et que ceux qui ne l'ont pas sont en retard sur ceux qui l'ont. Donc, si nous considérons que l'égalité entre hommes et femmes et un progrès, nous devons admettre que ceux qui refusent cette égalité sont en retard par-rapport à nous. Si nous croyons à nos valeurs, si nous pensons qu'elles constituent un progrès, nous devons d'abord les défendre et ensuite les promouvoir.
Les promouvoir, c'est essayer de convaincre les autres peuples qu'elles constituent effectivement un progrès. Cela passe par différents moyens, dont une certaine exemplarité. Les défendre, c'est savoir poser des bornes et s'opposer aux dérives que nous pouvons constater dans nos propres pays. Si nécessaire, cela peut passer par une loi.
1% me parait beaucoup. C'est sans doute pifométrique... Et je n'ai aucune idée des diversités des pratiques wahhabites.
Bien vu, la remarque sur notre œil qui évolue et s'adapte.
2005 est un peu loin pour analyser ma subjectivité d'alors. Pour 2007, je suis sûr que je n'ai vu aucune femme voilée intégralement car j'accompagnais des jeunes qui, eux, auraient réagi. (mais il est vrai que nous étions la plupart du temps dans la même cambrousse
Que voilà enfin une opinion courageuse ... Ouf ... Pas trop trop !!! Merci, Monsieur !