François Hollande a défendu une "économie de l'offre", c'est-à-dire une politique en faveur des employeurs, et se déclare dans la foulée "social-démocrate".
Il paraît que cela devrait faire plaisir au centre, de convictions démocrates, et où les salariés du privé ou entrepreneurs sont nombreux. Et que Jean-Louis Borloo comme François Bayrou sont émerveillés par cette nouvelle orientation.
Il y a peut-être de quoi. Mais ce peut-être pourrait n'être que dans quelques décennies.
Les démocrates de toutes variantes, sociaux-démocrates, libéraux-démocrates, écolo-démocrates, chrétiens-démocrates et démocrates tout court, ont eu deux problèmes avec le PS depuis sa création en 1971 et deux seulement.
- Son ignorance, totale et résolue, de ce qui peut peut créer des emplois, de la croissance, de la stabilité économique, de l'efficacité et ce genre de choses.
- Son choix stratégique de rejeter l'alliance proposée, à plusieurs reprises, par le centre démocrate, et de lui préférer l'Union de la Gauche avec le parti communiste.
De ce second blocage, Rocard, Delors et d'autres ont conclu qu'il était nécessaire d'adhérer au PS, et d'y faire avancer les sujets économiques en toute discrétion, sans interférer avec les luttes de pouvoir. Ils réussirent parfois (1983-84, 1989-91…), et eurent parfois d'énormes couleuvres à avaler : la débâcle de 1981-1982, les promesses surréalistes de 2005-2007…
Du premier blocage, Bayrou, Borloo et d'autres ont conclu que c'était de l'extérieur du PS, et de l'extérieur de la gauche, qu'il faudrait promouvoir le progrès démocratique, social et écologique — avec l'espoir de prendre un jour la place de cette gauche française archaïque, vouée à tomber en poussière. Grâce à une coalition avec les écologistes et avec une droite républicaine ou modérée. C'était l'espoir de Borloo en 1992 dans sa région, de Bayrou en 2007 au plan national.
Leur espoir est resté vain, et leur influence sur les politiques de la droite a été très limitée, que ce soit au niveau national ou européen, la droite française étant dominée par une étrange coalition entre des militants nationalistes et certains grands intérêts d'affaires peu intéressés à l'emploi et à la production (finance, immobilier).
Alors, Bayrou et Borloo espèrent sans doute voir la gauche reconnaître enfin que les affaires, l'entrepreneuriat, la production, l'investissement privé, sont des sujets légitimes et des réalisations valables, non pas seulement des ennemis. C'est ce que Bayrou et Borloo entendent, peut-être, quand Hollande parle de "l'offre".
Et dans la foulée, peut-être imaginent-ils que ce changement ouvrira aussi le PS à un travail en commun avec le centre ?
Je voudrais bien voir ça — je le dis à la fois au premier degré, et au second.
Il s'agit plutôt, je le crains, d'une double méprise.
Tout d'abord, sur le sujet de politique partisane : plus le PS gouverne "au centre", plus il rejette des accords avec le centre. Mitterrand a parfaitement réussi ce coup-là en 1988 — au prix d'une défaite écrasante aux législatives suivantes, 1993, mais les politiques raisonnent à deux ans maximum.
D'ailleurs Bayrou et Borloo en ont l'expérience. S'ils font une ouverture à Hollande, c'est, j'imagine, pour se montrer ouverts, mais sans illusion sur le résultat.
Et sur l'économie : comment le PS ferait-il une économie de l'offre en ignorant tout de l'offre ?
La génération de Delors et Rocard a pris sa retraite depuis des décennies, et n'a pas été remplacée.
Annoncer une réduction de cotisations en 2017 — donc possiblement APRÈS le mandat en cours ! —, réduction qu'il faudra bien remplacer par des taxes du même tonneau comme la CSG, ce n'est pas une économie de l'offre, c'est de la tchatche.
Au demeurant, Hollande avait tenu tout à fait le même discours pro-entreprises fin 2012, avec un impact nul.
L'alternative entre économie de l'offre, ou de la demande, est une fiction.
La demande n'a pas décru en France (voir le premier graphique sur cette page de l'INSEE), sans parler des marchés mondiaux en pleine expansion.
Si un gouvernement imaginait réduire la demande, en coupant les salaires ou en facilitant des licenciements massifs, il trouverait sur sa route aussi bien la gauche que le centre. Nous savons parfaitement, au centre, qu'on ne crée pas de richesse en cassant les compétences, les équipes, les investissements passés. C'est la création qui est créatrice, non la destruction.
Et si un gouvernement voulait "distribuer du pouvoir d'achat", créer de la demande par l'emprunt, il ne le pourrait tout simplement pas, surendettés que nous sommes déjà.
Donc il n'y pas d'alternative entre offre et demande. Il y a une alternative entre deux formes d'offre.
L'une consiste à remettre de l'huile et encore de l'huile dans une machine qui fuit de partout. À lâcher du lest fiscal ou social. À faire le pompier d'une entreprise en difficulté à l'autre, d'un dispositif d'emplois aidés à l'autre. Avec très peu de moyens, puisque voulant tout conserver en l'état, les gouvernants se gardent bien de mettre en danger les super-profits, super-bonus et super-salaires par lesquels quelques secteurs (financiers, pharmaceutiques, syndicaux…) assèchent et paralysent l'économie réelle.
C'est la politique annoncée par François Hollande et c'est celle qu'il menait auparavant, à la suite de Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac.
L'autre consiste à rendre notre offre — celles des entreprises et celle des services publics — performante pour la société d'aujourd'hui, dans l'univers technologique d'aujourd'hui, pour répondre à la demande des citoyens et à la demande mondiale.
C'est la politique que je suis prêt à soutenir :
- Former et orienter les jeunes, notamment les plus doués, vers l'économie réelle au lieu de la finance ;
- Orienter l'argent privé vers l'économie réelle au lieu de favoriser la spéculation improductive sur les produits dérivés ou le foncier ; en particulier, fermer les frontières aux paradis fiscaux et freiner les emballements boursiers par la taxe Tobin ; en résumé, reprendre le contrôle de l'économie aux marchés financiers ;
- Centrer l'enseignement sur les sciences et technologies d'aujourd'hui et de demain — systèmes d'information, ingénierie des données, modélisation… — au lieu des mathématiques ou de l'économie des XIX et XXème siècles ;
- Adapter le contenu des services publics (au-delà de l'enseignement) — soins de santé, administration générale, sécurité, etc. — aux besoins des Français d'aujourd'hui, alors qu'ils sont fossilisés comme ils ont été conçus pour la société de 1945-1965,
- …
Cette politique de l'offre, je la soutiendrais volontiers, j'en fais la promotion depuis ce petit blog, mais jusqu'ici, je ne la vois pas venir.
pour ce qui sépare PS et Centre, pour moi il y a plus que cela. Ce sont deux visions de sociétés à mon avis assez différentes, c'est en tout cas comme cela que je le ressens (je n'ai pas et ne prendrai pas le temps de rechercher des éléments factuels à ce sujet.)
(je préfère dire centre que démocrate, parce que je trouve que démocrate est trop global comme mot.)
d'accord avec toi sur l'analyse économique. Mais "reprendre le contrôle de l'économie aux marchés financiers" ou "adapter le contenu des services publics (...) aux besoins des français d'aujourd'hui" tout le monde est d'accord, la question c'est plus comment.
J'ai toujours un petit désaccord avec toi sur la partie enseignement car les maths m'ont beaucoup apportées, à mon avis sur des points que les systèmes d'infos ne m'auraient pas apportés. C'est peut-être juste un ressenti. Mais quand même, je ne vois pas bien comment ne pas enseigner les maths alors que c'est une des pierres fondatrices qui permet le reste. Bon c'est sûr que dans les formations d'ingénieur notamment, on pourrait y passer moins de temps (c'est d'ailleurs le cas dans certaines sections de prépas.)
@ jbl : il y a quatre traditions (au moins) dans la gauche :
Sur les maths, c'est sans doute ma rédaction qui est fautive, je m'attaque aux "mathématiques des XIX et XXème siècle" comme à l'économie des mêmes époque, ou aux langues anciennes. Elles sont excellentes pour la culture historique et générale, mais ne peuvent plus être le "tronc commun" de l'humanisme et de la culture technologique du XXIème siècle.
Et ces maths (anciennes) ne sont pas le tronc commun qui permet le reste. La plus grande partie de ce qu'on y apprend, en tout cas en sections scientifiques, ne sert à rien, ni directement ni indirectement, dans le système productif actuel. Bien sûr la notion d'inconnue (x), un peu les suites (xn), les fonctions bien sûr notamment une fonction du temps, un peu d'arithmétique, peut-être les bases de la topologie, la trigonométrie sert souvent…
Rejeter une politique de l'offre pour cause d'endettement excessif ?
Mais l'augmentation rapide de l'endettement est précisément du à l'absence de réponse à la hauteur de la crise depuis qu'elle a éclaté !
C'est le serpent qui se mord la queue.
Le deuxième chapitre de ce livre disponible en téléchargement légal http://deanbaker.net/images/stories... explique qualitativement et quantitativement la baisse de la demande agrégée aux Etats-Unis en 2009 et 2010. Le graphique page 20 est éclairant : la demande a chuté de $1500 milliards de $ par an, face à ça, le stimulus d'Obama a injecté 300 milliards de $ par an. Krugman prenait à l'époque le parti absent du débat que le stimulus était trop faible, on voit à quel point ! Depuis la situation n'a fait qu'empiré étant donné que les extrémistes à la solde du top 1% ont pris le contrôle du Congrès.
En France, l'INSEE a interrogé les entreprises pour savoir à quelle type de difficultés elles étaient principalement confrontées, on voit bien que c'est du côté du carnet de commandes que ça pêche en période de crise.
http://fsaraceno.wordpress.com/2014...
On est dans la situation théorique décrite par Keynes où même planquer l'or des banques centrales dans des mines désaffectées, faire exploser les puits et payer des gens à en creuser de nouveaux aurait un effet stimulant sur l'économie.
Alors à fortiori des choses utiles et indispensables telles que s'atteler enfin à la transition écologique.
Beaucoup de temps a déjà été perdu et ll n'est / était pas trop tard au vu des taux historiquement bas auxquels l'état peut emprunter
Je suis entièrement d'accord avec ce diagnostic. Je soutiendrais également la deuxième forme de la politique de l'offre si elle venait à s'imposer dans un programme quelconque...Je veux dire dans les faits naturellement...juste pour vaincre les résistances...
http://www.slate.fr/story/82571/pro...
en complément, un article sur l'enseignement de la programmation à l'école
@ internaciulo : merci de me faire découvrir le blog de F. Saraceno, bien intéressant et aux discussions nourries en commentaires.
Sur ce cas précis, la "preuve" apportée me semble bien faible : il me semble naturel pour un chef d'entreprise, de considérer que s'il ne fait pas assez de CA ou de bénéfice, c'est parce qu'il manque de demande (acheteurs) et pas parce qu'il manque d'offre (capacité à produire).
("naturel" en tout cas dans l'économie actuelle, où le coût de production d'une unité supplémentaire est très faible par rapport aux coûts d'investissement, de formation, d'immobilier…).
Et à mon humble avis, si on demande leur avis aux consommateurs, beaucoup diront que ce qui leur pose problème, ce sont les offres (trop chères, de qualité insuffisante, inadaptées…), et qu'en tout cas, s'ils trouvaient mieux et moins cher que ce qu'ils achètent aujourd'hui, ils changeraient volontiers de produits, services, fournisseurs en tout genre. Et c'est vrai pour les consommateurs du monde entier : la demande ne manque vraiment pas !
Beaucoup d'autres diront qu'ils manquent… d'un emploi (offre).
Ceci dit — je rejoins les critiques, disons, de gauche, contre les politiques d'austérité, qui existent dans d'autres pays, et qu'on n'a jamais vues en France (où l'équilibre budgétaire est très loin d'être atteint ou approché, même compte non tenu des intérêts de la dette) : quand on licencie des millions de travailleurs, quand on coupe les allocations sociales, quand on réduit massivement les services publics, quand on ferme des usines par centaines, on casse les capacités productives du pays, on l'empêche de repartir de l'avant. La destruction créatrice est, à mon humble avis, une vue de l'esprit… bien dangereuse.
@ Yann Elimas : de même ! En fait, les collectivités locales sont souvent plus à l'aise sur ce terrain de la politique de l'offre. Elles ont en tout cas intérêt à ce que leurs entreprises soient productives, efficaces, à l'état de l'art mondial. Ce que l'État, dans ses ors d'Ancien Régime, peine à considérer.
@ triton : merci pour ce lien ! Excellente référence. J'avais "zappé" cette lettre ouverte, que j'ai découvert et signé grâce à vous.
@FredericLN
J'ai trouvé via Jean Gadrey un texte de blog de Guy Démarest,
qui enseigne les sciences économiques et sociales en lycée et l’histoire économique à l’université d’Orléans.
Il fait l'itinéraire de cette illusion de la loi de l'offre qui crée sa propre demande (qui ne parait fonctionner que dans des circonstances très spéciales et/ou par un recours massif avec la béquille de l'endettement) dans un texte long mais passionnant et (je trouve) convaincant.
http://demarest.blog.lemonde.fr/201...
http://demarest.blog.lemonde.fr/201...
Que ça ne vous empêche pas de prendre un repos bien mérité après ces municipales