Un ami-Facebook éminent écrit (sur un post non public) :

"Il faut peut-être accepter que nous sommes tous coupables et que nous avons détruit la fameuse maison commune. En 1979, Haroun Tazieff décrivait exactement ce qui se passe en ce moment, et tout le monde lui répondait : baratin. C'est lui qui avait raison. Et en 40 ans on n'a collectivement rien fait. L'âge de la plagiste (Greta Thunberg) n'est pas vraiment le sujet, de mon point de vue.

(Une) double contrainte (est) imposée aux jeunes générations (…) mais (ce n'est pas nouveau) : chaque génération fustige la suivante et se voit contestée par elle, c'est vieux comme Platon qui déjà en parlait). Je pense juste que nous vivons une fin de civilisation, et que la dimension messianique de Greta est un des derniers avatars de la société du spectacle."

Le premier calcul (de la part) du réchauffement climatique dû au CO2 émis par les activités humaines date de 1896, et ce calcul était à peu près juste. Mais à l'époque ce réchauffement était perçu plutôt comme une bonne nouvelle (moins de glace…), la crainte d'un emballement catastrophique de l'éco-système Terre est plus récente… les années 60, j'imagine (exprimée notamment par Murray Bookchin,…), et Haroun Tazieff avait le bon registre : celui de la prévention des catastrophes.

Le débat est resté sur ce registre, sur les sujets écologiques, jusqu'aux années 80 je pense (défis des pluies acides, de la destruction de la couche d'ozone, et risques nucléaires) ; puis le débat est passé (dans les années 90 ?) au registre du bien et du mal : dans ce registre, il importe de moins en moins de réussir effectivement, et il importerait de plus en plus d'être dans le bon camp, du bon côté de la balance. Le langage d'Emmanuel Macron en donne un excellent exemple. C'est à la fois une logique conservatrice (si je suis du côté du bien, je peux continuer à faire comme je fais et comme il me plaît, et que le reste du monde se gère sans rien m'imposer) et une logique apocalyptique (ce qui compte, c'est la révélation du bien et du mal, que la catastrophe permet en démasquant les hypocrites).

La prévention des catastrophes, elle, se moque de la morale : on sauve en même temps les criminels et les héros — ou tout le monde y passe.

Il y a une excellente et double raison à ce basculement de la "prévention des risques" vers le registre moral/apocalyptique, c'est que

1) plus personne de sérieux scientifiquement ne croit à la possibilité d'empêcher la catastrophe. Les chefs d'État réunis à Paris ont imposé, "pour faire croire", au GIEC d'étudier comment le réchauffement pourrait être limité à +1,5°, et le GIEC a répondu : il faudrait un empilement de changements technico-économiques parfaitement improbables. Les simulations publiées récemment en France montrent que même dans le cas le plus favorable (de changements technico-économiques mondiaux massifs) la température montera de plus de +2°, au moins temporairement.

2) jamais personne de sérieux scientifiquement n'a pu prétendre que l'humanité (en tant qu'entité : l'existence d'une humanité) était menacée. Nous n'affrontons pas de menace existentielle. Les risques qui sont annoncés sont ceux d'une ruine de la civilisation (l'humanité y a survécu plusieurs fois), plusieurs millions de morts (hélas le XXème siècle a connu cela à plusieurs reprises, et les précédents étaient encore plus dangereux), les nombreuses villes côtières rendues inhabitables ou bien plus difficiles à habiter (on a déjà des villes sur radier, sur pilotis…).

Ce que l'humanité (pas la planète, l'humanité) va affronter dans le changement climatique est, vraisemblablement, une catastrophe du même ordre que certaines autres auxquelles elle a déjà survécu. Le comportement collectif rationnel de l'humanité consisterait à s'y préparer[1].

Le message et le comportement de Greta Thunberg peuvent être entendus comme du registre de l'alerte, de la sirène, ou du registre du sentiment, du bien et du mal, de la joie et de la peine. Je serais heureux qu'il soit entendu sur le registre : "comportons-nous collectivement en adultes responsables de ce que nous allons laisser à nos enfants".

Notes

[1] C'est ce qui a été formalisé sous le nom de "principe de précaution". Ce principe a été défini, dans les années 70, comme un devoir d'agir pour protéger, et il est réutilisé depuis les années 90 comme une stigmatisation morale d'actions négatives à éviter.