Dans notre voyage d'études chez des entreprises tunisiennes, on aura très peu parlé politique. On aura parlé en termes divers du "danger islamiste", de voiles et de laïcité, mais peu du pouvoir.

C'est un peu comme dans le Burkina Faso que j'ai connu en 1987-89 : la société semble calme et le débat détendu … étant entendu qu'on se tiendra toujours / Loin des tourbillons géants, que le pouvoir n'est pas un sujet de conversation.

officielle_ben_ali.jpgEn revanche, le pouvoir était en permanence sous nos yeux. Dans les rues, dans les halls d'entrée des entreprises ou des hôtels, grande diversité de photos officielles du Président, toujours en complet veston. Nous en avons parlé le tout dernier jour, plus précisément de cette photo-ci.

Comment la lire ? Il faudrait que je demande à Huguy les bons tuyaux ou Virginie.

On peut estimer que le costume marque l'attachement à la France ou à la civilisation occidentale, le manque d'une identité propre - dans le pays qui a donné son nom à l'Afrique. Bon, mais, sous réserve de vérification, quel chef d'État occidental poserait devant un décor aussi muet qu'un rideau et un voilage unis ? quel chef d'État occidental porterait la décoration nationale en trois exemplaires ?

Avec des éléments de notre langage visuel, de notre univers matériel, Zine el-Abidine Ben Ali semble affirmer ce que n'oserait exprimer aucun Président démocratiquement élu dans notre Occident : l'État, c'est moi.

C'est affiché en noir et en blanc, et en nuances de rouge, de l'orangé au violet : de cette photo, seule est exclue la couleur verte.


Alors que j'allais écrire ce billet, je tombe sur un article du Monde que traîne dans mon bureau depuis un mois, parce que je voulais en rendre compte ici : "Etre de gauche à l'heure d'Al-Qaida", par Jean Birnbaum. C'est l'occasion, car sous un autre angle, c'est le même sujet - le parti au pouvoir en Tunisie, c'est la gauche - ex-UNEF, Internationale socialiste et tout le toutim.

Pour Jean Birnbaum, le 11-Septembre, "il s'est passé quelque chose, et la gauche n'y a vu que du feu".

Depuis, "elle n'a pas cessé de rabattre l'inconnu sur le connu, comme si l'urgence était de ne surtout pas penser ce que cette attaque avait d'inédit".

Citant le collectif Retort, dont un livre est l'objet de l'article : "Il aurait fallu que les foules pacifistes ... prennent conscience que la gauche a désormais deux ennemis 'mortifères et complémentaires' : l'Empire marchand et le Djihad en marche".

"Ce bref ouvrage conseille de se mettre au travail : 'Pour qu'il reste un espoir, même infime, d'une alternative de gauche à cette << guerre céleste >>'."

Vu de ma fenêtre, ce qui plombe cette belle phrase, c'est le "de gauche". J'apprécierais une alternative marchante, équilibrée, qui nous fasse avancer - et non tourner en rond dans le sens inverse des aiguilles d'une montre.

Vue de Tunisie, la notion d' "alternative de gauche" à "l'Empire marchand et le Djihad en marche" prend another flavour.