Mes quatre jours à Abidjan en 2004 me rendent très attentifs à l'actualité ivoirienne - sans faire de moi un ivoirologue. Tout de même, quatre ou cinq choses que j'ai envie d'écrire…

Un souvenir en boucle, celui du film de Scorsese "Gangs of New York". Le personnage joué par diCaprio vient d'annoncer au "parrain politique" de sa bande, candidat à une élection, que les décomptes de voix qui leurs parviennent sont défavorables. Le candidat répond : "ce n'est pas le vote qui fait l'élection, c'est le décompte ! continuez le décompte !". En Côte d'Ivoire, le système a été amélioré : une fois le décompte terminé, les partisans du président sortant ont procédé à un rétro-décompte, éliminant, selon eux, 7 départements du Nord entiers. Ce n'est certes pas la démocratie, mais c'est du calcul.

Cet après-midi, j'ai lu le dernier tome de "Aya de Yopougon". Toutes les communautés, classes sociales, tous les destins ivoiriens des années 80, rebrassés dans un final féérique. Réconciliations générales et happy end, soigneusement travaillé par des coups de théâtre à la Goldoni, dans une ambiance houphouëtiste. Moyennant quelques coups de théâtre, ça aurait été possible, sans doute, en 2010.

Hélas, Yopougon a été le quartier de la mort. Le premier massacre de militants du RDR, et je peine à m'imaginer qu'ils pouvaient avoir confiance en la paix au point de se rassembler dans la permanence du parti pour fêter la victoire attendue de leur candidat, dans un quartier dominé par le FPI. Ils y croyaient. Ils en sont morts.

François Bayrou, première personnalité politique française à féliciter le vainqueur de l'élection, Alassane Ouattara. Une initiative, manifestement (une déclaration à l'AFP), et une initiative courageuse car François Bayrou, s'il est élu en 2012, risque fort d'avoir encore à faire au "putschiste constitutionnel" Laurent Gbagbo.

Et du nouveau pour le métier de sondeur. Les sondages, notamment Sofres, se sont lourdement trompés en donnant Gbagbo largement gagnant, parfois même au premier tour. Pourquoi ? Un article dans slate donne une piste :

«Nos dirigeants nous avaient demandé de cacher nos intentions de vote lorsque nous étions sondés. De faire croire que nous allions voter Gbagbo. Nous savions que c’était le seul moyen de le pousser à organiser l’élection», explique Assane, un militant du RDR (Rassemblement des Républicains), le parti d’Alassane Ouattara.

Difficile de valider ce témoignage anonyme. Mais rien que l'idée étonne. Imaginez que les 35% "d'alassanistes" aient pu se passer cette consigne de tromper les sondages… et que la Présidence de la République de Côte d'Ivoire n'ait rien su de la consigne. Imaginez un pays fraternel, où les personnes d'ethnies différentes se croisent en souriant… de part et d'autre de parois de verre d'où ne filtre pas un son. Le silence, c'est les autres.

Comment bâtir une démocratie sans échange ?