J'ai eu la chance d'assister ce vendredi matin à un "petit-déjeuner conférence" de Frédéric Gilli. Quelques passages.

En animant des groupes de discussion qui ont réuni 211 participants sur différents sites à travers la France, vers le début du mouvement des Gilets Jaunes, Frédéric Gilli et son équipe ont retenu :

  • Un besoin de liberté, la liberté d’accompagner les projets dont on a envie, des projets d’émancipation, d’être maîtres de nos vies. Frédéric Gilli pense à Amyarta Sen.
  • On n’est pas égaux selon là où on habite, selon le patrimoine, selon les revenus.
  • On est isolés. (et en face, l'expérience des Gilets Jaunes : sur les rond-points, on a retrouvé de la solidarité, du contact).

"Liberté, égalité, fraternité : plus qu’une crise sociale, c'est une crise politique, une crise nationale."

Du "grand débat", la grande majorité disait : « très bien, il n’en sortira rien, mais on a besoin de parler. J’irai pour m’exprimer, et surtout pour écouter mes concitoyens. ».

"Les réunions étaient d’une cordialité hallucinante. Les Français ont donné une leçon d’écoute et de débat démocratique à toute la classe politique". J'ai constaté la même chose aux débats argenteuillais et à la rencontre d'hier soir initiée par Argenteuil en commun !

"Aucun membre des groupes n’était franchement hostile aux GJ. Certains étaient GJ ou franchement pour ; la majorité : « Je comprends ce qu’ils font mais ça n’est pas la bonne méthode », voire « Je ne suis pas d’accord, mais je comprends que eux réagissent comme ça ». Ça touche tout le pays. « Je vois la rage qu’il y a… Eux, ils se débattent ».

Les membres des cabinets ministériels ont réagi à nos conclusions : « votre échantillon est biaisé » !

Ce que le pouvoir annoncera maintenant ne peut pas répondre à cette crise, tout comme les premières annonces gouvernementales n’ont eu aucun effet. Les gens se sentent exister. C’est un mouvement existentiel.

Ils partagent massivement certains sujets :

1. Surtout le modèle français, dans ce qu’il promet et permet.

Un sapeur-pompier du Valenciennois nous disait : la France est connue dans le monde pour ses services de secours, ses ingénieurs, son modèle social. Il ne faut pas le perdre.

Sous couvert d’efficacité, ce qui est menacé, c’est ce qui a fait une partie de l’histoire de France. Dont les participants à nos groupes disent par ailleurs que ça fonctionne très mal !

2. La planète, l’environnement… mais de façon très ténue : 5 personnes sur 211. Car le sujet est présenté toujours de façon technique, pas politisé.

3. Les jeunes — « et on sait en plus qu’on va pas en parler (dans le grand débat) ».

Si on parle de changement, les thèmes qui sortent sont
1) Les territoires
2) Le pouvoir d’achat (mais très peu de revendications salariales, plutôt une interrogation du modèle économique)
3) L’éducation
4) La démocratie, les espaces où on peut co-construire de la décision. Ce n’est pas une attaque des élites. Elles sont soupçonnées de bosser pour leur propre compte, mais on en a besoin. Un marketeur publicitaire de Saint-Étienne : « Je ne suis pas spécialiste de stratégie internationale ! On a besoin qu’ils travaillent pour nous. De vérifier ce qu’ils font. Le vote ne le permet plus, parce que ceux pour qui on vote, c’est toujours les mêmes. » Les Français se disent : « Les élus sont à côté de la plaque, mais il n’y a qu’eux pour faire le boulot ».

Maintenant, après le grand débat, je lis - dit Frédéric Gilli — pour la première fois dans l’histoire de la démocratie participative, énormément de débat méthodologique. La question des biais, des méthodes… « Il n’y a que des retraités … » Quand on dit maintenant aux cabinets ministériels « c’était dans la méthodologie initiale ! », maintenant, on est entendus. Le roi est nu, tout le monde le voit.

On veut faire grandir la jeunesse à partir de pistes exprimées par leurs grand-parents ! C’est la principale critique que j’ai. S vous n’avez pas collecté la parole des jeunes, vous ne pourrez pas la créer par les statistiques. Le débat du Président avec les jeunes en Saône-et-Loire : toute la première rangée était en uniforme. Aucune capuche !

On n’est guère avancé, une fois qu’on a traité les questionnaires, sur les leviers d’action possibles. Il a manqué la construction d'un espace de décision. Les Ministres ont fait très peu de débat ; le Président oui, mais sur le mode questions-réponses, qui empêche le débat. Résultat, lors du débat télévisé sur les européennes, et malgré une question des journalistes, aucune des têtes de liste n’a cité le grand débat, et ce qu’il en avait appris !

Ce pays a de l’énergie partout ! Sur les rond-points, il y avait beaucoup de professions libérales, de personnes dans une trajectoire de projet. Ce pays a des projets partout.

Les élites ont toujours un temps de retard… Elles sont en train de parler des sujets de notre enquête d’avant le débat national.

Si j’avais un conseil — conclut Frédéric Gilli — : il faut continuer. Il y a trois terrains de transformation majeurs, sur lesquels le pays attend que ça bouge :

  • Le travail : comment on produit dans ce pays : à quelle échelle, avec quels objectifs… Le sujet était entré, à la marge, dans le débat présidentiel, par l‘idée du « revenu universel ».
  • Les territoires : les campagnes, Paris… Lors d'une concertation organisée pour la FNTP, nous entendions les mêmes choses à Verdun et Paris, mais les gens de Verdun tiraient sur Paris et réciproquement ! La France a une géographie d’échanges, mais les gens vivent dans des lieux.
  • Bien-être et bien vivre : santé, alimentation, paysages… les enjeux du vivre-ensemble. Nous avons travaillé pour des réseaux de soins, le syndicat des dentistes… En entrant par ces sujets, tout ressort : la gastronomie, le modèle de vie français !…

Si Emmanuel Macron, sans rien décider, passait la 2ème partie de son mandat à clarifier et apaiser le point de vue national sur ces trois sujets, ce serait déjà énorme.

On a grandi dans un monde connu et prévisible, en nous représentant le politique comme un dictateur bienveillant. Mais aujourd’hui nous nous interrogeons sur les modèles eux-mêmes ! Le politique change alors de nature.

Aujourd’hui, il n’énonce, malheureusement, plus les valeurs qui mettent les gens ensemble.

Et il ne s’intéresse plus à rassembler les gens. Alors qu’il est le seul à en avoir la légitimité."

J'en suis sorti gonflé à bloc pour la réunion du soir. Les thèmes cités par Frédéric Gilli recoupaient parfaitement ce que nous disent depuis l'automne les Argenteuillais auprès desquels nous enquêtons. Un nouveau monde est déjà né, et commence à prendre conscience de lui-même.