J'ajoute aux billets précédents (Graines de Nazis, Dieudonné selon ses supporters, et en personne)…, deux derniers mots également tirés de discussions sur le blog French Politics.

Un mot sur le soutien manifesté à Dieudonné par une partie des Français ; un autre sur les décisions du Ministre de l'Intérieur.


Art cite une formule frappante : "Anti-semitism is the socialism of fools".

Cette formule ne s'applique que trop bien, je le crains, aux nombreux Musulmans et/ou Noirs de France qui se voient spécialement discriminés dans la politique nationale et par nos institutions… et qui remarquent, avec envie sans doute, la protection et le respect institutionnalisés qu'a obtenu la communauté juive, sans parler de son influence ; ce dont les Musulmans ou les Noirs ne bénéficient évidemment pas au même niveau, malgré leur nombre.

Et cela peut expliquer, en partie, le succès obtenu par Dieudonné jusqu'ici. Après tout, dans ses duos d'il y a vingt ans avec Elie Seimoun, il faisait déjà rire jaune de cette différence de traitement.

Mais cela ne justifie en rien de continuer à soutenir Dieudonné quand celui-ci démontre une obsession contre les Juifs qui ne peut que paver la route à des manifestations de haine antisémite.

Dans ces circonstances, la seule position qui me semble tenable est celle d'une solidarité totale avec les Juifs (autant qu'on puisse être solidaire sans être Juif).

Et à ceux de mes amis qui soutiennent Dieudonné, je dis : vos demandes aux institutions républicaines, je pourrai les entendre et les relayer si elles sont exemptes de toute attaque contre d'autres groupes. Si vous rejetez franchement l'obsession antisémite de Dieudonné. Si vous comprenez que l'extermination des Juifs par les Nazis, et les assassinats antisémites qui continuent de nos jours en France, sont une raison absolument légitime de veiller particulièrement contre les risques antisémites, et d'en protéger les Juifs, autant que faire se peut.


Le second point est celui de l'interdiction de ses spectacles. Je penche plutôt pour l'avis d'Eolas que pour celui d'Authueil. En d'autres termes, il me semble que les discours publics de Dieudonné relèvent des tribunaux ordinaires (pouvoir judiciaire), et non d'une guérilla que l'administration (pouvoir exécutif) devrait mener pour interdire ses spectacles.

Le trouble à l'ordre public est difficile à démontrer tant que l'agitation reste limitée à une salle de spectacle. C'est l'interdiction au contraire qui risque de provoquer des troubles.

Le risque que soit commise une infraction pénale (en l'occurrence une incitation à la haine antisémite) est sans doute réel, mais est-il si singulier, si fort et si grave, qu'il faille interdire ce spectacle et non d'autres ? Il suffirait de poster un policier ou un huissier dans la salle.

Reste donc "l'atteinte à la dignité humaine". Elle est indubitable. J'ai découvert avec surprise que cette notion figurait dans la loi comme limite à la liberté d'expression — et depuis 27 ans. Article 1 de la loi du 30 septembre 1986.

Mais selon Eolas, cette notion qui permettrait tant d'interdictions n'a été utilisée qu'une fois, et ce n'était pas contre la liberté d'expression, mais pour interdire le "lancer de nains"[1]. Dont l'existence et l'abjection nous ont été rappelées par le "Loup de Wall Street".

Est-il judicieux d'interdire un one-man-show — ou un discours politique extrême présenté comme one-man-show — sur la base de la prévision d'une "atteinte à la dignité humaine" ? Je partage sur ce point les doutes d'Eolas.

Je crois que la dignité humaine comprend la capacité à accepter le risque que de tels discours soient tenus. Je crois que la dignité humaine est assez haute pour que de tels discours soient impuissants à l'abaisser.

Cincinna, commentatrice sur le blog d'Art, l'écrit mieux que moi :

The bright light of day is the best disinfectant for this poison; not banning it, suppressing it, or shutting it down.

Ayant exprimé ce sentiment, cette préférence pour la liberté d'expression, je dois cependant reconnaître que c'est une question d'appréciation, et de degré. Il ne peut être question d'interdire toute blague raciste. Il ne peut être question d'autoriser toute expression publique quel que soit son contenu. Le Ministre, les juges administratifs, le juge des référés au Conseil d'État, font leur travail, et je présume qu'ils le font de leur mieux ; quant aux résultats; l'Histoire jugera, comme toujours.

Notes

[1] Un commentateur rappelle un 2ème cas, celui de la soupe au porc, qui ne relevait pas non plus de la liberté d'expression.