Politique dite de la Ville : Mme Fadela Amara présente une sorte de bilan de mi-mandat, et tout le monde s'accorde à dire que rien de sérieux n'est fait hors quelques mots rassurants (et quelques destructions). Une insouciance tranquille - benign neglect - à l'américaine ? Voici pour en juger le billet d'hier du blog "French politics", titré "Ghettos".[1]

Le Monde relève dans son éditorial ... la contradiction entre la notion "d'identité" française, et la pérennité de ghettos où les conditions sociales ne ressemblent à rien de connu ailleurs, comme le montre cette page de statistiques. Des efforts énormes ont été consacrés à expurger l'espace public de tout signe discriminant[2], et pourtant l'espace le plus public de tous - les rues, tout simplement, de villes entières - on l'a laissé se détériorer au point que ce n'est plus un signe, c'est un facteur de discrimination, voire de ressentiment. L'inaction est, sur ce front, éclatante. ... Valérie Pécresse monte sa campagne francilienne sur le thème "Humaniser le Grand Paris", mais à quel point l'éclat du tout nouveau et très grand Paris peut-il masquer ce qui se passe dans les banlieues[3] ? De mon point de vue, pas grand chose.

C'est vrai que je regarde tout cela de loin. Et s'il se passe sur le terrain des choses qui m'échappent, merci de me les apprendre. Je lis régulièrement le blog de Fadela Amara, et ça ne me donne guère une impression d'action. Peut-être parce que Mme Amara est plutôt une ambassadrice des banlieues qu'un ministre. Mais alors, qui est en charge des banlieues ? Qu'est-ce qui est fait ? J'y vois un besoin criant d'action publique, et pourtant, parmi les projets à financer par le Grand Emprunt, je ne crois pas qu'un seul cible spécialement les villes défavorisées, les étudiants pauvres ou les paysages urbains dégradés. Entre deux épisodes de troubles, ces gens-là disparaissent de l'agenda[4] du gouvernement.

Bien sûr, pour le justifier, certains pourraient estimer qu'une action publique ciblée de cette façon, c'est une ingénierie sociale vaine, dont l'inefficacité a été démontrée. C'est l'argumentation néoconservatrice contre les programmes de la Great Society aux États-Unis, comme Model Cities[5]. Et de fait, c'est entre autres la réaction contre ces programmes qui a nourri le mouvement néoconservateur américain. (Mais) je n'ai pas connaissance de critiques semblables en France, où les attitudes à l'égard des banlieues n'atteignent même pas le niveau de "l'insouciance tranquille"[6] qu'avait suggéré feu le sénateur Moynihan. En France, le problème est laissé aux écoles et à la police: les unes doivent inculquer "les valeurs" et la discipline, l'autre doit maintenir l'ordre et la paix civile. Ça ne suffit pas.


Sur le même sujet sur ce blog : "Grand Paris, rien compris", et "Ma candidature pour l'Ile-de-France, v2". Et à lire dans Le Monde, l'interview de Claude Dilain titrée "La logique du ghetto arrange tout le monde".

Notes

[1] Traduction approximative de la responsabilité de votre serviteur, coupes ... aussi. Les passages en italique sont soit en français dans le texte, soit conservés en anglais du texte d'origine.

[2] Art Goldhammer pense "par ex. à l'interdiction des "signes ostentatoires" d'appartenance religieuse dans les écoles", comme il le précise en commentaires sur son blog.

[3] Traduction hasardeuse de cette phrase.

[4] "Agenda", qui signifie "choses à faire, to do list" est habituellement traduit par "programme", mais la traduction "agenda" m'a semblé valable ici.

[5] Lien wikipedia

[6] Lien wikipedia