Je reviens un instant sur la réunion-débat à Mandela vendredi, autour de Christine Boutin, pour réagir aux observations de Vincent Daniel sur la manif de dimanche 13 janvier à Paris : "Le discours est cadré, clair, mais manque cruellement de spontanéité" — les reportages télé m'avaient donné un sentiment similaire.

J'ai donc assisté vendredi soir 11 janvier à cette réunion-débat à Argenteuil autour de Christine Boutin, à l'invitation de Franck Debeaud. Je peux témoigner que les interventions et questions spontanées du public étaient sur les mêmes sujets — sans cadrage ni clarté, en revanche — que ceux des manifestants vus par Vincent Daniel. Pas de trace d'homophobie, de complotite, etc., mais une inquiétude, à la fois exprimée et confuse, pour le cadre de la famille "avec un père et une mère".

Pour proposer une interprétation de la préoccupation que j'entendais là : les participant(e)s semblaient penser que la famille est une communauté fragile, un cadre éducatif sous fortes pressions extérieures ; que l'engagement ou l'implication des membres de la famille elle-même, ont besoin d'être appuyés par un engagement similaire, ou une forme de caution, de la société dans son ensemble. Et ces mêmes participant(e)s semblaient penser que le projet de loi gouvernemental conduisait à retirer cette caution, à nier ou minimiser la valeur du choix que font un homme et une femme en concluant un mariage "hétéro" et en fondant une famille.

Deux militantes "pro-mariage-homo", également dans le public, ont soutenu, de façon nettement plus vive ou grossière (mais c'est un classique quand on vient porter la contradiction dans une réunion politique), un même argumentaire, en substance celui-ci : "pour élever un enfant, deux femmes qui l'aiment valent mieux qu'un homme et une femme qui le battent". Ce que les "anti" leur accorderaient volontiers. Mais utiliser cet argumentaire conforte, au fond, celui des "anti" selon lequel défendre le projet de loi revient à dénier la valeur spécifique du couple père-mère.

Contester ce projet reviendrait finalement à défendre un sujet dont le projet ne parle pas. Et peut-être, justement, à se manifester comme oublié de la loi et des pouvoirs publics ? À exprimer le sentiment que la loi — et peut-être la gauche spécifiquement — devrait s'intéresser autant à la majorité silencieuse[1] qu'à des minorités[2] ?

Ce sentiment d'être moralement la majorité, une majorité sinon opprimée du moins ignorée, la gauche française a rarement su le gérer. Le président de la République a tout intérêt à s'en soucier — là-dessus, Mme Boutin a certainement raison.

Notes

[1] Terme utilisé à la télévision par Christine Boutin dimanche soir.

[2] Terme utilisé par l'un des intervenant(e)s du public à la réunion de vendredi 11.