Allez, je sacrifie à cet affreuse analogie, dans ma réponse à Olyvier, sur le blog d'EdgarEP. En réponse à mon baratin précédent, Olyvier écrit :

"Vous n'analysez pas ... l'aspect "construction" de la chose européenne et que certains qualifient de téléologie (tout traité est toujours meilleur, tout élargissement prometteur, tout approfondissement salvateur) ... ?" Olyvier pense "que ce prochain étage qui rendra la maison confortable est une perspective qui interdit un jugement politique et citoyen sur ce qui est fait."

Je suis 100% d'accord.

Faut-il le rappeler ? il y avait un seul "parti de gouvernement" en France opposé au traité de Nice : l'UDF.

C'est parfois pour moi un sujet d'étonnement, que le militantisme "pour toujours plus" ou "pour toujours moins" d'Europe.

Non, "+ de niveau européen" n'est pas un bien en soi, mais au contraire un mal en soi. Dire cela, c'est croire au "principe de subsidiarité" (devenu une scie du discours européen, mais porté depuis environ un siècle, dans l'indifférence générale, par les démocrates-chrétiens, une des origines de l'actuel MoDem).

On ne doit prendre les décisions à une échelle plus vaste, que quand on s'accorde à y voir une "valeur ajoutée" suffisante. Par exemple, pour faciliter les échanges économiques entre pays, ou les échanges d'étudiants, ou les voyages, ou pour lutter contre le dumping fiscal et les paradis fiscaux, ou pour lancer des missions spatiales, le niveau européen me semble être le seul potentiellement efficace.

Je crois aussi qu'il peut être très efficace pour améliorer notre autonomie énergétique, et notre résilience aux crises d'approvisionnement en carburants et matières premières.

En revanche, j'ai les plus grands doutes (ça n'engage que moi) sur la valeur ajoutée de la PAC (agriculture), de la PCRD (R&D), ou du fonctionnement par projets des "Fonds structurels" (politique d'appui aux régions moins développées), ainsi que du Fonds européen de développement (aide aux pays pauvres).

Alors comment se fait-il que ces quatre politiques représentent le (très) gros du budget européen ? Il me semble que ça s'explique par le changement du monde.

Dans un monde en voie d'industrialisation, où la productivité et la concentration du capital étaient des facteurs majeurs de succès, la PAC et la PCRD, de même que l'instauration du "marché unique" (de 1992), étaient, j'imagine, de très bonnes politiques. (Pour le FED c'est une autre raison : permettre que l'aide aux pays pauvres échappe aux logiques post-coloniales, très fortes dans les années 60-70).

Dans la société post-industrielle, et à mon avis post-informationnelle, les deux ressources-clé sont maintenant la créativité (ou plus justement la capacité à utiliser la connaissance) et le territoire physique (la planète) : je crois que ces quatre politiques seraient désormais gérées plus efficacement au niveau national ou, pour certaines, plus local.

Il faut donc, je crois, des changements profonds dans l'Union européenne. Le projet de Constitution en amorçait quelques-uns, mais ce n'était, de mon point de vue, qu'une amélioration modeste. Il y a encore beaucoup de chemin à faire pour que l'Europe (re?)devienne un niveau de décision efficace. Je suis prêt à parier que les citoyens sont en avance sur les États, ceux-ci noyés dans la routine, dans l'héritage des politiques du passé, des mécaniques instaurées par les traités.

Mais si la mécanique est rouillée, si le logiciel est obsolète (pour le coup, la comparaison me semble valable), je n'en déduirai certainement pas que le besoin d'une Europe unie, solidaire et efficace, a disparu. Je crois au contraire qu'on a besoin d'une "nouvelle version majeure" de ce "logiciel" européen.