Décidément, que les visiteuses/visiteurs de ce blog m'excusent, je n'en finis pas de faire le bilan, depuis au moins 5 billets.

Et à force, il manque d'un mea culpa. Je sais bien que des ami(e)s ici présent(e)s, globalement bienveillant(e)s à mon égard, diront que j'ai tout bien fait : dans la défaite, tout le poids du chapeau retombe sur le candidat, alors que dans la victoire, chacun(e) vient dire "qui t'a fait roi ?". C'est comme ça… mais c'est faux.

Donc, qu'est-ce que j'ai fait, réussi ou raté ? Le plus simple est de prendre par ordre chronologique.

La campagne de Jean Lassalle est née de sa marche, son tour de France. C'est en marchant, ou en travaillant de ses mains, ou en méditant, qu'il digère ce qu'il a senti, entendu et vu, et qu'il mûrit ses décisions. J'ai été toujours absent de ces moments-là, et ai échoué à en susciter. Je n'ai donc presque jamais été en mesure de fournir au candidat ces fameux "éléments de langage", ou de comportement, les seules choses qui passent et qui font l'élection, en complément du "fond" personnel et du vécu.

Il me semble que personne, dans l'équipe autour de Jean, n'avait coupé du bois ou abattu des kilomètres avec lui. Résultat, les seuls bons conseillers qu'il ait trouvés étaient dans sa famille, dans sa génération en vallée d'Aspe. Heureusement, ils ont été très bons, lucides et sincères.

J'ai aidé Jean, comme je l'ai raconté ici, pour le livre "Un berger à l'Élysée" puis en coordonnant les travaux qui ont conduit au programme publié ici. J'étais plutôt content de ce travail sur le projet, l'ayant mené à bonne fin avec dix fois moins de moyens et un matériau dix fois plus hétérogène, que quand je travaillais sur le programme Bayrou 2007. Les échos de lecteurs ont presque tout été bons.

Mais la synergie a été étonnamment faible entre ce programme et la candidature de Jean ! Quand il était interrogé sur son programme, il se retrouvait très souvent en position défensive. Un peu comme Benoît Hamon ! malgré la qualité des propositions de ce dernier.

Je crois que Peter Mandelson a dit "une campagne gagnante, c'est un slogan, un slogan et un slogan. À chaque occasion, à chaque question, chaque porte-parole et le candidat lui-même répètent le slogan, jusqu'à l'imposer". Il n'y a jamais eu de slogan dans la campagne de Jean, et pire que ça, nous n'avons jamais collectivement fait d'effort là-dessus. Nous avons fait comme si la personne était le message ; mais un candidat sans slogan est une personne désarmée, c'est un message sans punch.

Le collectif a été sympathique mais faible. Nous avons un nombre de bénévoles plus limité que la plupart des concurrents, et nous avons très mal su les mobiliser. Par exemple nous avions préparé dès octobre un petit mémo pour les militants sur les réseaux sociaux : nous ne l'avons jamais diffusé ou publié. Certes, ces sympathisants ou militants étaient presque tous sans expérience politique, sans "métier" : plus tournés vers Jean Lassalle que vers leurs voisins à convaincre. Certains l'appelaient à 4 h du matin en le réveillant, m'a-t-on dit ! De la folie pure. Mais ça aurait justement été notre métier, d'équipe de campagne, de les former et de les outiller. Pas fait.

La stratégie de Jean, que je partageais pour l'essentiel, était simple : devenir Président de la République. Montrer qu'il était la bonne personne pour le job. Faire sentir que l'heure est si grave que la France avait besoin d'un autre type de chef de l'État, d'un "berger à l'Élysée".

D'autres personnes auraient préféré une stratégie plus segmentante à la façon de Nathalie Arthaud ou de CPNT jadis : défendre les intérêts spécifiques d'un groupe de population qui se pense opprimé, contre le groupe qui détient durablement le pouvoir. Par exemple les intérêts des campagnes, ou des territoires périphériques.

Les suffrages que Jean a obtenus correspondent exactement à cela : les montagnes, Corse incluse, et quelques campagnes du Nord-Est (carte du Monde).

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Donc il est resté, bien malgré lui et malgré moi, le candidat "de la ruralité".

Voilà un résultat qu'il aurait obtenu tout seul, avec sa voiture en sillonnant les vallées pendant un an. Et c'est exactement ce qu'il a fait, et c'est ce qui a fonctionné.

À quoi a servi, alors, le travail de l'équipe ?

  • Dans la recherche de parrainages, à démultiplier les efforts du candidat jusqu'à en obtenir 708 (dont j'ai obtenu personnellement 0).
  • À gérer les obligations juridiques et comptables. Qui continuent, d'ailleurs ! (je ne m'en suis pas mêlé).
  • À assister personnellement le candidat dans la période la plus bousculée, le dernier mois : attachée de presse, "aide de camp" et famille ont été précieux ! (ma contribution a été proche de 0).
  • Quelques discussions et négociations avec des partenaires ont attiré quelques milliers de voix, peut-être quelques dizaines de milliers au total (je suis une bille dans ce domaine et n'y ai pas participé).

Mais côté communication structurée, démultiplication, capacité de mobilisation collective, le bilan est proche de 0. Les tee-shirts "Lassalle président" sont arrivés l'avant-veille de l'élection. Des panneaux électoraux sont restés sans affiche dans toute la France. Le travail des jeunes, dont deux fils Lassalle, sur les réseaux sociaux, a été fructueux dans les derniers jours, mais surtout auprès des ados, et trop tard pour faire apparaître Jean comme présidentiable.

Comparons à la "France insoumise" ou à "En marche !", lancés à la même époque : le contraste fait mal.

Contrairement à ce que j'avais prévu, et à ce que je croyais dur comme fer, j'ai passé beaucoup de temps sur l'urgent, et raté ou ignoré l'important.


Pourtant, je ne suis pas mécontent ! Pourquoi, mystère et boule de gomme. Voyons voir.

D'abord, Jean avait annoncé une campagne joyeuse, et je crois être resté dans le ton. J'ai négligé un appel téléphonique, et répondu sèchement au téléphone à un militant : les deux fois ça m'est revenu en boomerang. Bonnes leçons. Pour le reste, les relations ont été aussi bonnes qu'elles pouvaient l'être. Jean a porté non seulement sa propre campagne mais aussi toute l'équipe !…

Ensuite, pour la première fois de ma vie, je suis arrivé à boucler un ouvrage pour la publication — le programme commenté. C'est une réalisation en soi et j'en suis très fier ! Même si le résultat était trop faible pour être publié.

Troisièmement, Jean Lassalle a tenu la route pendant toute la campagne. Même si je n'y suis pour rien… ça aurait été très gênant de se retrouver associé à un candidat qui part dans le décor. Jean Lassalle a roulé sur la ligne blanche sur le conflit syrien, oui, mais quand on fera le bilan dans trois ou cinq ans, je crois qu'il sera reconnu comme le politique français intervenu le plus justement sur ce sujet tragique. Il a pris des risques. Qui lui ont coûté pas mal de soutiens potentiels, politiques et médiatiques. Mais c'était pour une juste cause.

Voilà, à la fin, la raison d'être heureux de cette campagne, et de ma trop modeste et inefficace contribution : c'est que le combat était juste. C'est une chance que j'ai toujours eue, depuis 18 ans que j'ai commencé à faire "de la politique" : dans une association pour la démocratie participative, puis comme blogueur, puis comme militant, depuis trois ans comme conseiller municipal, parfois comme candidat, et à deux reprises dans des campagnes présidentielles : la chance de toujours participer à de bons combats, de ceux qui vous grandissent. Ils n'ont presque jamais été gagnants, et alors ?