Sur la grève en Guadeloupe, j'ai un peu lu ici ou et me suis abstenu de bloguer, ne connaissant pas du tout la Guadeloupe. Les reportages de Julien Beaumont sur France 2 me semblaient très clairs, et comme on disait aux Chiffres et aux Lettres : "pas mieux !".

Maintenant qu'un accord est signé, une question se pose : ce que, de l'hexagone, nous avons vu et entendu, qu'est-ce que ça nous dit ?

Moi, j'ai surtout entendu quatre mots : pwofitasyon, mort, cé tan nou, pa ta yo.

Pwofitasyon : une dénomination remarquable, le LKP, à rendre jaloux tous les créateurs de noms (et je m'y mets). Surtout, une vision parfaitement lucide des rapports de force économiques aujourd'hui. On n'est plus dans le "partage de la valeur ajoutée créée par l'alliance du capital et du travail", on n'est plus dans le "développement économique endogène ou exogène", on n'est plus dans l'alternative "capitalisme public, privé ou mixte", même si tout cela a encore du sens ; on n'est plus, en tout cas, dans le bras de fer "salariés contre patrons" ; on est dans une économie de la prédation, face à laquelle le seul contrepoids semble être la force du collectif ("Liyannaj").

Plus exactement, l'économie moderne est structurée par la concurrence entre l'entreprise qui innove pour répondre à des attentes de publics, et le prédateur qui fige pour contrôler un territoire de marché. L'entreprise est quasi-désarmée face au prédateur ; seule la démocratie, seul le public peut prendre le parti de l'entreprise contre le prédateur. Et cela demande beaucoup de solidarité.

Mort : une ou trois personnes sont décédées dans ces troubles. Les leaders qui déclencheraient, en France métropolitaine, un mouvement social structuré par la force (blocage, barrages...) comme celui de Guadeloupe, doivent savoir qu'ils mettent en danger la vie de citoyens. Pourra-t-on changer les choses sans violence, sans révolution ? Espérons.

Cé tan nou : cette conscience qu'on est tous dans le même bateau, qu'on réussira mieux par la solidarité qu'en cherchant des boucs émissaires ou en élisant des "méchants" chargés d'écraser le collectif, cette conscience n'est pas encore, je crois, très présente en France métropolitaine. On reste encore dans la vieille alternative "individu contre collectif", élevée au rang de "sens".

C'est pourtant, je crois, la condition du changement : comprendre qu'on est ensemble pour permettre à chacun d'entreprendre.

Pa ta yo : ce slogan d'exclusion est ce qui me chiffonnait le plus dans le mouvement guadeloupéen. C'est un slogan facile quand on se dispense de nommer "yo". Il fallait comprendre, paraît-il, les békés, ce qui ne me dit pas grand chose vu de l'hexagone.

Pourtant le "pa ta yo" prend, ici, un sens tout à fait clair et sans contestation possible, quand une personne, un petit clan et un petit milieu social ont pris (avec l'assentiment de 53% des électeurs) le contrôle du pays, du moins, des revenus qu'ils peuvent en tirer. Cette prédation-là serait facile à abolir, elle n'est pas enracinée dans l'histoire du pays (au contraire de la domination économique des békés), seulement dans son centralisme parisien, dont j'espère les jours comptés. Facile à abolir, si le "nou" existait un peu plus.