Un ami-Facebook relaie ce billet de Big Browser sur le Brexit comme « premier vote majeur dans l’ère de la politique post-vérité » (The Guardian), 'un monde où l’idéologie l’emporte sur la réalité' (Le Monde).

Le statut de la vérité en politique est un sujet passionnant pour une personne de formation scientifique comme votre serviteur[1].

Le leader de l'opposition argenteuillaise, quand il répond aux arguments de la Municipalité, utilise souvent la formule : "ce sera vérité(s) contre vérité(s)". Si c'est au singulier, ça me donne une impression étrange. Si c'est au pluriel, j'approuve complètement : il est bon d'opposer les faits aux faits, de ne pas laisser le champ libre à des demi-vérités, matériau de base du complotisme — qui est une idéologie officielle à Argenteuil[2]. Les partisans des faits sont minoritaires. Il n'y a guère de groupe social partisan des faits. Ceux-ci sont réputés pouvoir se défendre tous seuls. Voire, exercer une quasi-dictature (proche du politiquement correct) contre laquelle les rumeurs à deux balles seraient une forme de résistance salutaire.

Les réseaux sociaux — concrètement Facebook — sont le lieu de cette nouvelle forme de discussion politique, où les rumeurs infectes, les injures personnelles, les montages méprisants, prospèrent d'autant plus facilement qu'ils circulent seulement entre amis, c'est-à-dire, apparemment, entre ennemis des personnes visées.

La contradiction, le rappel des faits, sont plus difficiles, me semble-t-il, qu'en public ou même qu'en privé face à face. La dynamique de (petit) groupe isole de la société. N'entendre que son propre son de cloche, celui de ses amis, rend moins réceptif à la différence, à la nouveauté, au changement d'avis.

Ce mode d'auto-intoxication rejoint peut-être celui des années 50 ou 60, avant la télé, quand chacun(e) était informé(e) par son milieu social ; et à l'époque, chaque milieu votait de façon assez homogène.

Certes, il y avait la radio, mais avec quelles limites ! Sous la IVème République, De Gaulle, opposant à l'ensemble des partis au pouvoir, n'avait pas accès à la radio.

Encore dans les années 70, la vérité restait très peu populaire. L'opposition (la gauche) en particulier charriait des bobards monumentaux. Relire le pamphlet de Plantu et Bernard Cassen, "La démocratie ? Parlons-en ?" (1979) — tas d'énormités qu'on ne laisserait pas passer aujourd'hui même à LO ou au FN.

Mais la parution des livres de Soljenitsyne, Une journée d'Ivan Denissovich et L'Archipel du Goulag (1973 en France) a sapé le discours des communistes, qui ne s'en est jamais relevé. Elle a alerté les citoyens sur le danger (criminel en l'occurrence) que constituent des constructions intellectuelles certes cohérentes, mais contraires aux réalités de la vie humaine quotidienne.

J'espère un mouvement équivalent en 2016 ou 2017. Un mouvement de retour à la vraie vie, aux faits. Pas seulement les chiffres macro-économiques des grandes institutions. Pas seulement non plus les images de télé sur des voitures brûlées quelque part en France. La vie réelle, en couple, en famille, au travail, en ville ou au village — celle dont la politique a la charge.

Notes

[1] Comme bien sûr pour un littéraire comme François Bayrou qui lui consacra un essai. C'était aussi un sujet de philo au bac en 2015, voir sur youtube la réaction de Frédéric Lefebvre contre "les faux-semblants".

[2] Pour les non-Argenteuillais : le débat politique argenteuillais tourne depuis huit à douze ans ans autour de la question de savoir si un étranger (à notre ville), l'actuel député, et ancien Maire et conseiller général, est l'orchestrateur maléfique de la dégradation, de la faillite, de la saleté et de la mauvaise réputation d'Argenteuil. Sans rire. "Maléfique" est une citation.