Le CEVIPOF vient de publier la 10ème vague annuelle de son sondage pompeusement autoproclamé "la référence pour mesurer la valeur cardinale de la démocratie : la confiance". La parution a été légèrement avancée, je crois, pour répondre aux événements actuels, le mouvement des Gilets Jaunes. Le CEVIPOF titre "Une colère qui vient de loin", façon d'écrire que le niveau de méfiance actuel est très similaire à celui des neuf dernières années.
Il y a effectivement très peu d'évolutions allant au-delà de la marge d'erreur aléatoire des sondages, voici celles qui s'en détachent.
1) Beaucoup de sentiments reviennent au niveau de 2015 ou 2016 ; c'est 2017 qui était une exception :
Q"nou9", les répondants sont beaucoup plus nombreux (60%, +23% par rapport à 2017, c'était 60% aussi en 2016) à penser que "l'état de l'économie en France s'est dégradé au cours des 12 derniers mois".
"Q1. Parmi les qualificatifs suivants, quels sont ceux qui caractérisent le mieux votre état d'esprit actuel ?" : par rapport à décembre 2017, de plus en plus de déclarations de lassitude, de morosité, de méfiance, de peur (13% au lieu de 8%), de moins en moins de bien-être (14%) et de confiance (11%). Mais cela revient simplement au niveau de décembre 2015 : c'est décembre 2017 qui était une exception.
Q12 : le sentiment que "la plupart des gens font leur possible pour se conduire correctement" progresse de 4%, retrouvant là encore le niveau de 2015-2016 alors que son niveau était exceptionnellement bas en 2017.
L'opinion selon laquelle la France devrait "s'ouvrir davantage au monde d'aujourd'hui" (bizarre, deux idées en une à mon humble avis de sondeur) rejoint, à 23% (-4%) , son niveau de 2015-2016 ; de même que l'avis selon lequel "le fait pour la France de faire partie de l'Union Européenne est une bonne chose" (40%, -5% par rapport à 2017 ; Q50).
Retour au niveau de 2015 ou 2016 aussi pour la confiance envers la Sécurité sociale (+4%) ou envers l'école (69%, même niveau qu'en 2015 mais au-dessus de 2016-2017).
Q37. La disposition à "manifester" pour défendre ses idées progresse de 4% à 55%, mais revient simplement aussi au niveau de 2015-2016. C'est juste la fin du petit matin gris post-électoral.
Q22 : l'idée que la "démocratie ne fonctionne pas bien" [1] revient, à 70%, à son niveau de fin 2016. Et (Q41) le "dégoût" envers la politique revient à son niveau de 2015 (32% ,+5%).
2) La confiance dans les institutions politiques est à un niveau parmi les plus faibles depuis le début du baromètre ; c'était déjà le cas en 2017.
C'est l'objet des Q13-Q14. Mais par rapport à fin 2017, la confiance baisse encore envers les institutions de niveau national, européen et international ; elle est stable envers les institutions municipale, départementale et régionale. Le maire est le seul élu envers lequel la confiance remonterait légèrement, et c'est toujours le seul qui recueille une confiance majoritaire (58%, +3%).
Les "hommes politiques" sont de plus en plus critiqués, surtout comme "servant leurs propres intérêts" (74%, nouvelle question) et comme "parlant des problèmes de manière trop abstraite" (74%, +6% ; Q"nou6").
3) La véritable nouveauté, c'est un regain de confiance envers soi-même et ses proches :
Q25 : la confiance envers "l'Église catholique" atteint son niveau le plus faible depuis qu'elle est mesurée.
La confiance envers les "grandes entreprises privées" baisse aussi, à son plus faible niveau depuis 2012. La demande que "l'Etat les contrôle et les réglemente plus étroitement" remonte, en miroir, à son niveau de 2012 (Q29 : 44%, +4% par rapport à 2017).
Q"nou7 : Pensez-vous qu'il faut accorder la priorité, dans les prochaines années à la compétitivité de l'économie française ou à l'amélioration de la situation des salariés ?" : "à l'amélioration de la situation des salariés" progresse de 11%, à 65%.
L'idée que "pour établir la justice sociale, il faudrait prendre aux riches pour donner aux pauvres" progresse de 14%, à 69%.
Q7 : "l'image très positive de moi-même" progresse de 3%, à son plus haut niveau des 4 dernières années.
Q5 : le sentiment que "les gens de mon pays" n'ont pas "la possibilité de choisir leur propre vie" progresse de 7%.
"Q3 : les événements qui ont donné confiance dans l'avenir", réponses spontanées : notamment 11% "l'élection du président Macron", 3% "le mouvement des Gilets Jaunes". Ce dernier — sans, donc, donner beaucoup de confiance en l'avenir — est "soutenu" par 60% des répondants contre 30% (question "new12"), il représenterait "un renouvellement de la démocratie en France" (62%) plutôt qu'une menace (34%).
"Q15 : Pour faire confiance à un responsable politique, qu'est-ce qui vous semble le plus important ?" Deux réponses sont demandées parmi 5 possibles. La réponse "Qu'il soit proche des gens comme vous" progresse très fortement : +13%.
4) et le rôle imparti au politique change très fortement : il doit devenir démocrate.
Q"nou12 : Pour vous, un bon responsable politique c'est avant tout quelqu'un qui sait... ?" Deux réponses sont demandées parmi 4 possibles, qui vont en réalité dans 2 directions opposées, démocratie ou "despotisme éclairé".
- Forte progression de la demande de démocratie : "prendre l'avis du plus grand nombre de citoyens avant de décider" : +8% ; "passer des compromis pour éviter les conflits" : +9% ;
- Forte régression de la demande de despotisme éclairé : "s'entourer d'experts compétents qui le conseillent" : -5% ; "prendre ses décisions sans tenir compte des critiques" : -10%.
Ainsi (Q40bis) l'idée que "le gouvernement devrait changer ses projets politiques en fonction de ce que la plupart des gens pensent" progresse à 73%, son plus haut niveau depuis que la question est posée (2014).
Et (Q55) la demande d'un "homme fort qui n’a pas à se préoccuper du parlement ni des élections" régresse de 7%, à 35%.
Comme moyens d'influencer les décisions, les manifestations sont jugées plus efficaces qu'en 2017 (+16%), les grèves aussi (+6%), aux dépens des boycotts (-6%) et des élections (-6%, à 55%, plus faible niveau depuis que les débuts du baromètre).
L'identification comme "français" plutôt que d'abord européen, ou que les deux, atteint son plus haut niveau depuis qu'elle est mesurée, à 36% (+4% ; Q54).
La demande que "les différents partis proposent des alternatives politiques claires" (84%, +9%) progresse plus que l'idée selon lequel le peuple devrait décider directement (52%, +3%, Q"nou3").
L'idée qu'il "devrait y avoir des référendums sur la plupart des questions importantes" (70%, +8%) progresse plus que la demande de référendum d'initiative citoyenne (72% +3%).
5) En matière d'opinions politiques, peu de changements !
Le positionnement "au centre" reculerait un peu (-3%, à 17%); au profit de la droite / extrême-droite ou de non-réponses (Q"nou1") ; sans doute surtout au profit de l'idée que "les notions de gauche et de droite ne veulent plus dire grand-chose" (Q"nou10" : +3% à 73%).
Sur 11 sujets politiques réputés clivants, très peu de changements : un peu plus de répondants pensent que "Il faudrait autoriser la procréation médicale assistée pour les femmes seules ou homosexuelles" (+3%) ; un peu moins pensent que "il y a trop d'immigrés en France" (-3%). L'idée que "l'immigration est une source d'enrichissement culturel" progresse de 6%, à 53%.
Ma conclusion personnelle, c'est que les Français, ou un bon 60% d'entre eux, sont du côté de Jean Lassalle, peut-être sans le savoir. Mais vous aurez peut-être d'autres conclusions à tirer de ces chiffres !
Notes
[1] Le CEVIPOF affaiblit bizarrement en "pas très bien", p. 31.
la conclusion est excellente !!! il n'y a plus qu'à le faire savoir.
Et surtout Jean Lassalle doit maintenant réussir à passer le cap de l'élu local qui réussit des "coups" ! (ok c'est facile à dire... et je ne sais absolument pas comment il devrait s'y prendre...)