Jeudi 14 juillet, je regardais depuis notre mont Trouillet les feux d'artifice de la région parisienne, quand le fil Twitter m'a donné les premières mauvaises nouvelles de Nice. J'ai appelé mon ami et associé qui habite à quelques minutes de la promenade des Anglais : heureusement il a répondu et, gêne, c'est moi qui lui ai appris qu'il se passait un drame.

Bernard a dit sur le blog d'EpA notre deuil face à cette barbarie.

Art Goldhammer, dont la pensée a été forgée par l'expérience du Viet-Nam comme par l'art de vivre parisien, commente :

… There is damage enough, carnage enough, blood enough. The point is to induce desperation and trigger an emotional, irrational, disproportionate, and ill-targeted response. And I fear that the enemy is on the point of achieving its goal.

It is becoming increasingly likely that Marine Le Pen will be elected next year. The government seems helpless, and little by little minds are being prepared to accept an authoritarian xenophobic response as the only conceivable next step.

… I am no longer as convinced as I once was that France will be saved from catastrophe by its two-round voting system. Fear is gaining the upper hand. This is what is truly terrifying.

… Assez de dégâts, assez de carnage, assez de sang. L'objectif est de conduire au désespoir, de déclencher une réponse émotionnelle, irrationnelle, disproportionnée et à côté de la cible. Et je crois que l'ennemi est en train d'atteindre ce but.

Il devient de plus en plus probable que Marine Le Pen soit élue l'an prochain. Le gouvernement semble hors du coup, et petit à petit, les esprits sont préparés à accepter qu'une réponse autoritaire et xénophobe soit la seule étape suivante possible.

… Je ne suis plus si sûr que le système à deux tours sauvera la France de la catastrophe. La peur prend la main. C'est ça qui est terrifiant.

Je ne saurais mieux dire. Je considérais déjà Madame Le Pen comme la favorite, car ceux que les sondages classent devant elle n'ont pas un pet de vent favorable. Ils ont de l'argent, le soutien des gens en place, une certaine estime du public — exactement comme Jeb Bush.

Les Français, globalement, ont-ils peur, sont-ils en colère ? J'aurais du mal à le dire car je ressens ces émotions généralement en décalé (inconvénient du tempérament dit secondaire).

Mais ce que je vois ou ressens, c'est :

  • Un rejet des sortants PS+LR, dont les mots sont sans le moindre impact sur la réalité… Que signifie "renforcer les bombardements" en Syrie ou Irak quand nos avions les bombardent depuis des années ?
  • L'évidence qu'aucun parti, même le FN, ne serait plus détestable que les terroristes. La recherche d'un "coup" assez fort pour chasser les terroristes des écrans de télé.
  • La confiance dans le système social, économique, éducatif, de santé… pour perdurer quelle que soit la couleur politique du pouvoir : même le programme du FN ne les affecte qu'à la marge (sur la composition des menus dans les cantines scolaires…), sans parler bien sûr de LR-PS et leurs débats lilliputiens sur la "loi Travail".

Ce qui amarrait les Français au système politique, partisan, en place, s'use ou plutôt se rompt sous ces coups de hache.

Certains commentateurs d'Art s'étonnent d'analyses politiques venant si tôt après la tragédie. C'est que la répétition des attentats de masse — Charlie, Bataclan, Bruxelles, Nice, en 18 mois, pour ne parler que des terroristes français — en a fait une forme de routine. La référence de François Bayrou ou Jean Dionis aux bombardements qui touchaient Londres, est à cet égard très juste.

Nous sommes en guerre ? Je ne vois ni à droite ni à gauche le début d'une stratégie militaire.

Je n'entends aucun expert en sécurité prétendre — que ce soit au sujet du présent gouvernement, ou du précédent — que les décisions pertinentes ont été prises. Les plus favorables au Président actuel expliquent qu'il "ne pouvait faire autrement que ce qu'il a fait", ce qui est plus effrayant que rassurant… en temps de guerre comme en temps de paix.

C'est pourquoi Madame Le Pen n'a plus un boulevard devant elle : elle a une autoroute.