La question à la fin de ce titre, je l'ai déjà posée ici après tant d'élections où nous étions écrasés par les partis "du système"…

Même inquiétude aujourd'hui, alors que la candidature soutenue par tout "le système" a été battue par un "milliardaire populiste", comme cela était arrivé dans de nombreux autres pays auparavant.

Comme l'écrit François Bayrou,

Partout sur la planète les peuples refusent l’ordre établi d’où ils se sentent rejetés.

Cela impose de prendre volontairement à notre compte le changement profond, nécessaire, dont les peuples ont besoin, eux qui ne veulent pas supporter un monde sur lequel on ne pourrait pas agir.

Cela impose de penser un monde nouveau. (… Cesser) de parler la langue des chiffres pour parler la langue des hommes.

Je crois que cela demande aux démocrates une remise en question, et une remise en marche, plus radicale encore.

Car "penser un monde nouveau", prôner un "changement profond", "parler la langue des hommes", le centre démocrate en général, et François Bayrou en particulier, le font depuis des décennies.

Et, c'est une pitié de l'écrire, nous le faisons depuis des décennies sans aucun impact sur la réalité. Le "centre" devient alors l'idiot utile des partis "du système", des réseaux conservateurs, le bisounours idéaliste qu'on laisse s'asseoir quelques secondes sur un strapontin, le temps qu'il se rende compte que le pouvoir a été conservé par ceux dans les fauteuils[1].

Est-ce que les Américains, au moins 52% d'entre eux (dont 47% de votes pour Trump), auraient rejeté les bonnes paroles et les annonces de changement venant de forces politiques… qu'ils pensaient profondément attachées à ne rien changer ?

Est-ce une explication du "Trumpisme", du soutien recueilli par ce beauf ou ce père Ubu ?

Pour le blogueur centriste François-Xavier Bernard,

"la démagogie de Trump, son intolérance, ses provocations sexistes et xénophobes sont la négation même des valeurs et des idées centristes".

C'est une négation point par point des valeurs démocrates, oui, bien sûr.

Mais du centrisme ? Trump est presque l'incarnation du centrisme, en termes de positionnement partisan : il a changé 3 fois de parti entre démocrates et républicains ! Il est réputé extrêmement pragmatique et non idéologue. Il se dit attaché à ce qui marche, contre les grands systèmes, ce qui se rapproche d'une définition de la subsidiarité.

Cette présidentielle américaine a donc opposé, pour la première fois depuis des décennies, deux candidats centristes chacun à leur façon — très différente.

Hillary Clinton attirait sans doute la sympathie de beaucoup de centristes de par sa classe intellectuelle. C'est "a brain", un cerveau, avec une immense force de concentration intellectuelle, une immense capacité de travail et une connaissance encyclopédique.

Les centristes, au long des siècles, ont montré non seulement leur pragmatisme, mais aussi leur attachement à l'intelligence ; ils rêvent de "rois philosophes", de décisions publiques raisonnables, fondées sur la connaissance des situations et la réflexion de long terme, plutôt que motivées par l'affirmation d'un pouvoir contre d'autres.

Mais cette forme d'intelligence — celle, chez nous, des normaliens, des énarques ou des polytechniciens — ne suffit pas à constituer une pensée politique. Les grands leaders politiques — grands pour le meilleur ou le pire — n'ont pas toujours été brillants en ce sens là du QI. Louis XIV dansait mieux qu'il n'écrivait. Louis-Napoléon Bonaparte écrivait niveau pamphlet. De Gaulle, un théoricien pur jus, avait le sens de l'essentiel, au point de préférer une formule emphatique à l'exactitude des faits.

J'espère que le centre démocrate saura dépasser une conception frileuse de son engagement, qui se limiterait à défendre une intelligence de salon, un conservatisme "de Delors à Balladur" (avec tout le respect que j'ai pour eux et leurs remarquables réalisations des années 70-80), alors que le monde a changé de base.

Non pas se réfugier derrière les apothicaires de l'ordre ancien, mais les pousser dehors.

Non pas tordre le nez devant les contestataires, les originaux, les faiseux, les élucubrants ou les manifestants, mais travailler avec eux.

Le slogan souvent repris par les Démocrates américains depuis cette élection, "Don't mourn. Organize!", entendons-le en France !

Ne restons pas interdits, les bras ballants, en attente. Organisons-nous.

Pour "penser un monde nouveau". Et le construire.

Notes

[1] Je suis en train de lire les carnets de Jean Peyrelevade sur le sauvetage du Crédit Lyonnais. La situation qu'il décrit d'Edmond Alphandéry, ministre centriste de l'Économie du gouvernement Balladur, ne dément pas cette impression. Plus récemment, les témoignages d'Emmanuel Macron sur son passage à Bercy… non plus.