Je crois à l'importance de l'évaluation des enseignants - et d'en tirer les conséquences sur leur carrière. Je crois aussi nécessaire, pour que l'enseignement se passe dans des conditions … d'enseignement, plus d'autonomie des chefs d'établissement.

Jusque là, il devrait y avoir beaucoup de monde d'accord. Pourtant, les propositions de Barack Obama qui vont dans ce sens, suscitent l'indignation - et à vrai dire, un tombereau d'insanités - inattendues sous la plume d'un blogueur aussi pondéré que L'Hérétique.

Ce dont je me suis indigné, et je l'ai accusé en commentaires de "calomnie" et d'avoir mal vérifié ses sources - ce qui était sans doute vrai, mais j'avais mal vérifié moi aussi. Comme quoi l'indignation est mauvaise conseillère.

L'Hérétique voyait une "chasse aux profs", une "saloperie" et de la "démagogie" dans l'idée de mieux payer les bons enseignants et de pouvoir licencier les pires.

Pourtant les syndicats d'enseignants américains approuvent ces orientations, insistant cependant sur la nécessité d'une évaluation "juste", et de crédits supplémentaires si l'on veut rémunérer mieux - crédits qu'Obama a précisément annoncés.

Dans le contexte français de l'Éducation nationale, cette réaction des syndicats peut surprendre ! Et pourtant, la réglementation française permet de rémunérer mieux les enseignants les mieux notés (avancement plus rapide) et, j'imagine, de déclarer inaptes à enseigner ceux qui le seraient.

Comme d'habitude en politique, les mots ont une portée émotionnelle, un sens, qui va au-delà des propositions concrètes. Finalement les principes sur lesquels s'appuie Obama dérangent bel et bien le conservatisme syndical français :

  • Il y a des enseignants meilleurs que d'autres, qui font plus progresser leurs élèves, "toutes choses égales par ailleurs" (ambiance de l'établissement, niveau de départ des élèves etc.)
  • Il est possible d'apprécier cette différence, de reconnaître la qualité professionnelle d'un enseignant ;
  • Le droit de l'élève à avoir un bon enseignant est plus important que le droit d'un enseignant à conserver son poste ;
  • Il est important de reconnaître la qualité du travail d'un enseignant et de l'inciter à rester enseignant.

Pourquoi ces principes dérangent-ils ? À mon avis, parce que les enseignants, comme un peu toutes les communautés de "professions libérales", d'indépendants seuls face à leur mission, s'organisent en corporation à vocation défensive contre toute influence extérieure - que ce soit la demande des parents, de l'administration, des élus, etc. Ils acceptent, venant de l'extérieur, de l'approbation et des moyens, mais en aucun cas un jugement sur leur travail. Ils entretiennent entre eux une hiérarchie partiellement formalisée (l'agrégation), partiellement informelle, souvent fondée sur de tous autres critères que la réussite des élèves dont on a la charge.

C'est pourquoi on ne peut faire évoluer l'école qu'avec les enseignants, par un accord entre les élus du peuple et la communauté enseignante.

C'est pourquoi le politique français doit éviter des mots qui, aux Etats-Unis, font déjà bouger, et qui en France susciteraient une bronca. Ça, c'est le côté émotionnel.

Là où les travailleurs américains sont réputés accepter l’inégalité des salaires, un corps social comme celui des enseignants français du public peut préférer l’égalité des rémunérations (ou un système d’avancement très rigide, comme aujourd’hui). Peut-être assure-t-elle mieux la solidarité et l’entraide entre collègues. Eh bien, si l’égalitarisme est un moteur, tant mieux ! Rémunérer plus l’enseignant qui réussit n’est pas une fin en soi : ce qui compte, c’est qu’il réussisse et, ayant réussi, qu’il ait envie de rester.

Il y a d’autres raisons pour que les réformes qui se mettent en place aux États-Unis ne soient pas transférables en France.

Tout d'abord, en France, il faudrait vraiment faire très attention avant de licencier un enseignant. Le système américain est éclaté entre États, entre districts : il y a un marché de l'emploi enseignant. En France, il n'y a qu'un seul employeur pour un enseignant du public, l'Éducation nationale. Licencier un enseignant serait le laisser sans solutions. (Accessoirement, je trouve absurde la barrière entre public et privé qui oblige un enseignant à faire toute sa carrière dans le même système).

Ensuite, la culture de l'évaluation par les résultats est très diffusée aux États-Unis, il est donc relativement facile d'obtenir des consensus sur des systèmes de mesure. En France, on est très réticents, et (pour cette raison) les systèmes de mesure sont très peu développés - si on les employait en l'état actuel, les résultats seraient très peu fiables. Peut-on même espérer que des indicateurs calculés de façon uniforme sur un million d'enseignants, évalueraient correctement la performance de chacun d'entre eux ? Je n'en crois rien.

Je croirais plutôt à l'évaluation locale, par les chefs d'établissement ou les conseils d'administration, après recueil d'information auprès des parents et des élèves. Comme cela se fait dans tout autre métier, chez tout employeur : le supérieur du salarié évalue son travail, après s'être informé auprès des interlocuteurs du salarié. Mais cela suppose que le chef d'établissement ait un pouvoir et une responsabilité sur les résultats de son établissement. Si, comme aujourd'hui, il n'a de marge de manoeuvre ni sur les budgets, ni sur les équipes, ni sur l'organisation du travail, etc., il continuera à se passer ce qui se passe : des notations quasi-fictives, entre avancement à l'ancienneté, tête du client et prime à qui proteste le plus fort.

Au-delà de cet exemple, notre Éducation a la grande vertu d'être nationale et républicaine, c'est aussi par certains côtés un handicap, quand cela fait oublier ce qui doit être "au centre du système" : l'éducation de l'enfant. Pas l'enfant lui-même, l'élève - il n'est pas décideur, il est placé là pour apprendre. Pas non plus les savoirs "disciplinaires" : éduquer n'est pas conserver. On conserve un savoir, on éduque des personnes.

C'est un devoir national de "donner à chaque enfant l’éducation de niveau mondial, dont il aura besoin dans la compétition avec tous les autres travailleurs du monde" (Barack Obama).


Cf. aussi billets de mon ancien blog sur l'école.