Le Point a eu besoin de quelqu'un pour porter la contradiction à François Bayrou dans son numéro "Le mal français : vérités et mensonges". C'est Alain Minc qui s'est dévoué pour le dernier terme — merci à lui de ne pas avoir laissé notre Président trop seul.

J'ai une dent contre M. Minc, qui a fait rater un cadeau de ma grand'mère.

Vers mes 18 ans, ma grand'mère — une intellectuelle, bibliophile, étudiante jusque vers ses 90 ans à elle — m'a offert un livre de politique et d'économie, puisque ça semblait m'intéresser : un livre d'Alain Minc, certainement "L'Avenir en face".

Faisant mon service militaire, j'avais un peu de temps et d'énergie intellectuelle à dépenser : j'ai commencé la lecture.

Elle était difficile. Les arguments se croisaient et semblaient se contredire : si on fait ceci, le chômage va monter ; mais si on fait l'inverse, le chômage va monter aussi. Flûte. J'ai dû lire crayon en main, annotant, reliant de traits et de flèches ce qui avait l'air en rapport.

Je ne comprenais pas plus.

Je venais d'être admis à Polytechnique, et je calais sur un bouquin grand public, de la vulgarisation économique en gros caractères. C'était vexant.

Je ne me souviens plus si je suis venu à bout du livre, mais je l'ai refermé marri.

C'est plusieurs mois plus tard que, "eurêka", l'ampoule s'est allumée : si je n'avais rien compris, c'était parce qu'il n'y avait rien à comprendre.

Mobiliser, pour étudier le livre, mes neurones formés par la "prépa" était la grosse erreur : en l'abordant avec un peu du bon sens terrien de mon grand'père, l'alarme aurait sonné dès la page 10, et ça m'aurait épargné des maux de tête.


Avoir plongé dans la perplexité un aspirant chasseur alpin, n'a pas empêché M. Minc de faire une brillante et lucrative carrière de conseiller multi-princes. Peut-être leur a-t-il fait, aux princes, le même effet qu'à moi : celui d'un dialecticien bien utile pour brouiller les pistes et noyer le bon sens.

Et je ne l'ai pas oublié sur mon blog : Alain Minc, Le Monde et les liens politiques-médias ; Alain Minc, le pape allemand et la langue française ; Alain Minc, les entreprises endogames et, peut-être, Hervé Morin ; Alain Minc, François Bayrou et, sans doute, Le Pen light ; Alain Minc allumé par François Bayrou en 2009 pour son « niveau d’inégalités nécessaires pour assurer le dynamisme de l’économie » ; et même un instant d'espoir : que "même Alain Minc se retrouve face aux faits". C'était en 2006.

Car, François Bayrou l'écrit parfaitement dans sa réponse à Alain Minc cette semaine, "tout aussi précieuses" que les boussoles les plus fiables, sont "les boussoles qui se trompent absolument toujours et qui, quelles que soient les évidences, vous désignent, obstinément et avec assurance, le sud."

Quand Alain Minc lui-même commencera à prendre les faits au sérieux, à regarder la France, à prendre le risque du bon sens, c'est que, après toutes ces années vers le ravin, la France aura fait demi-tour. Il est ma boussole.