Monsieur le Premier Ministre,

Vous écrivez sur votre blog :

Il faut “déverrouiller les 35h”, nous dit Manuel Valls. Bel exercice de vocabulaire! Mais c’est déjà fait. Un peu de courage : il faut rompre avec la langue de bois et oser dire que le pas suivant, c’est de les abandonner purement et simplement, comme une vieille idée du siècle dernier, en complet décalage avec la réalité économique d’aujourd’hui. Le vrai défi pour demain, (etc).

Je crois avec vous que les 35 heures sont intenables, parce que l'Etat n'a pas les moyens de les financer, et qu'il ne les avait d'ailleurs déjà pas quand elles ont été votées. Au lieu de transformer le progrès économique en progrès social, le gouvernement de l'époque s'est permis de distribuer du loisir à crédit ; suivi par le gouvernement actuel qui a distribué de l'heure sup' à crédit. Donc oui, c'est intenable.

Et pourtant !

Vous parlez de "les abandonner purement et simplement, comme une vieille idée du siècle dernier" : est-ce une raison valable ? Beaucoup des idées du siècle dernier sont encore très jeunes, me semble-t-il. Lesquelles le nouveau siècle a-t-il encore inventé (à part le terrorisme par assassinats de masse, et la fraude pyramidale à échelle macro-économique) ?

Et une fois abandonnées, que mettriez-vous à la place ? Votre billet n'en dit rien. Il va hélas dans le sens de votre collègue au gouvernement, M. Novelli, qui propose de supprimer la durée légale pour faire de la durée du travail un des objets du contrat de travail (sauf accords d'entreprise ou de branche, façon nord-européenne sans doute, mais dans quelle branche du secteur privé les syndicats français ont-ils la capacité de négociation de leurs homologues allemands ou scandinaves ?).

Quand vous invitez les salariés à "travailler plus en travaillant mieux" (payés combien ?) et les entreprises à "motiver chaque salarié, le faire participer"… en tant qu'ancien gérant de PME, je ne peux pas être contre… mais cela me semble faire une impasse géante sur la réalité des rapports de force entre nos marques mondialisées et leurs salariés en France.

Si l'Etat ne conserve pas son rôle -vieille idée d'il y a trois siècles - d'assurer l'égalité des droits[1] entre citoyens, je ne vois absolument pas comment l'espérer des employeurs dans leur ensemble.

Bien sûr, si les salariés pouvaient voter avec leurs pieds, les employeurs seraient encouragés à être honnêtes et respectueux. Mais qu'en est-il dans un monde de chômage de masse ?

Des compliments aux employeurs responsables ne peuvent pas plus remplacer le droit du travail, que vanter l'éthique de la finance ne pouvait remplacer une régulation sérieuse des marchés financiers.

Notes

[1] Précision "des droits" par rapport au commentaire laissé sur le blog de M. Juppé. C'est bien de droits qu'il s'agit ici.