commentaire publié sur Mediapart il y a quelques semaines sur l'interview du général Varret.

Bravo pour cet article, et au général Varret pour ses prises de position. La question (du rôle de la France) me semble, pour une fois, parfaitement bien posée.

C'est important de rappeler qu'il n'y avait aucune intention génocidaire dans l'armée française ou le pouvoir politique français.

Mais il y avait deux stratégies :

  1. l'une consistant à appuyer le plus étroitement et solidairement possible, le pouvoir hutu rwandais contre le FPR tutsi, avec l'idée que, si le pouvoir en place obtient une victoire militaire, il ne déclenchera pas de génocide ;
  2. l'autre consistant à se dissocier de ce pouvoir en place, à faire pression sur lui (en commençant par le menacer de le laisser seul) afin que la peur de la disparition l'oblige à partager le pouvoir et à garantir la sécurité des Tutsis ;
  3. et il n'y avait pas de stratégie 3 qui aurait consisté à s'en laver les mains en laissant le problème à d'autres (comme nous le faisons dans d'autres parties du monde).

Avant 1994, il me semble que, hélas, seule la stratégie 1 (appui étroit et solidaire) avait une doctrine structurée, un réseau de décision pour la porter. La stratégie 2 n'existait qu'à l'état d'objections contre la 1.

Ce qui m'horrifie, c'est que, quand la stratégie 1 échoue (l'armée rwandaise s'effondre militairement, le génocide organisé de longue date commence à se concrétiser, puis se concrétise à grande échelle), le pouvoir français persiste dans cet appui étroit et solidaire aux dirigeants désormais génocidaires.

C'est ce qui fait douter du caractère rationnel, humanitaire, de la stratégie 1. Et fait craindre qu'une mauvaise foi au sens sartrien ne l'ait emporté — tout, finalement, tout, plutôt que la moindre concession au FPR, ces "anglophones soutenus par les USA", dans "notre" zone d'influence.

La vie humaine comptée pour rien.

Et nos dirigeants venaient raconter à nos citoyens que la zone Turquoise avait un but "humanitaire" — en fait, celui de protéger les génocidaires. Comme le dit très bien le général Varret, à cette lumière, l'erreur était une faute.


J'ai fait pas mal de commentaires, billets, tweets… sur le génocide rwandais. Je n'y connais rien, je ne suis jamais allé au Rwanda - tout au plus me suis-je approché de la frontière côté burundais, lors d'une brève mission début 2002, donc près de 10 ans après les massacres de 1993 dans la région, et le génocide de 1994 au Rwanda. La mémoire d'un tel événement, quand on ne l'a pas vécu, n'est qu'un devoir, elle ne donne droit à rien, et en particulier, je me trompe peut-être énormément.

Quelques lectures avec ou sans mes commentaires : Le témoignage du lieutenant (à l'époque) Goya (2017, 2019) ; Abattre l'avion présidentiel n'est pas un génocide (2018) ; Accusations du Rwanda contre 19 militaires français (2016) ; Honneur au Figaro, qui rendait compte en temps réel du génocide (2015) ; "Oubliez tout" (2015) ; Rwanda, témoignages d'un génocide (Courrier international, 2014) ; Pétition pour la déclassification des archives françaises (2014 et 2018) ; quelques commentaires plus anciens, notamment sur les souvenirs du général Dallaire, chez koz (2007).