Je n’arrive décidément pas à penser à mon travail ce lundi — le dimanche électoral a bougé trop de choses ! Alors je me lance au hasard dans un post de politique partisane nationale, à la suite d’Arthur Goldhammer.

Charité bien ordonnée… : mon parti, Résistons! : tout simplement absent de tous les articles de presse d’hier soir. Notre président est peut-être à 2% dans les sondages pour 2022, ce qui est modeste mais ferait de Résistons! la 8ème force politique, juste derrière le PS (3%) : nous sommes loin de cette 8ème place aux municipales, et le PS a remporté presque 1 grande ville sur 5. Et pourtant nous sommes un mouvement (sinon “le” mouvement) “municipaliste”, promoteur enthousiaste de la commune ! Dans presque toutes les villes, les listes où figuraient nos candidats ont été balayées dès le 1er tour.

Plus cités, mais à la rubrique “chiens écrasés” : En Marche! et le RN, c’est-à-dire les deux partis qui semblent qualifiés d’avance pour le second tour de la présidentielle, donc pour constituer dans la foulée, l’un ou l’autre, la future majorité législative. Aux exceptions près, qui confirment la règle, de Perpignan et de Paris 9ème, ils sont presque partout battus, écrasés ou absents.

Inversement, les vainqueurs du jour seraient deux partis quasi-anecdotiques à l’Assemblée Nationale, dont un qui avait renoncé à candidater à l’Elysée pour se rallier à un autre candidat lui-même ensuite écrasé.

Ça fait penser à la politique québécoise (et canadienne plus largement) : les partis provinciaux ne sont pas les partis fédéraux.



Une autre hypothèse : c’est le vote national qui est devenu anti-politique, dégagiste. L’hypothèse n’est pas nouvelle (c’était déjà mon analyse, et celle de beaucoup, pour le succès de M. Macron et Mme Le Pen en 2017, après ceux de MM. Hamon et Fillon aux primaires ouvertes organisées par leurs partis). Mais la réalité de la présence à l’Élysée, à Matignon, au perchoir de l’Assemblée, de personnes-clés des réseaux de pouvoir politico-économiques parisiens, fait oublier, à force, que c’est le dégagisme qui les a placés là. Et qui les chassera demain, s’il se fixe sur un autre chevalier blanc, ou rose, ou noir, ou arc-en-ciel, capable de porter ses couleurs.

Inversement, je ne vois guère que le dégagisme ait frappé à ces municipales (alors qu’il avait fait très fort aux municipales 1977 par exemple, propulsant aux commandes bien des équipes surprises et impréparées). L’abstention oui, bien sûr, mais pourquoi ? Une colère générale, si elle se traduit en abstention, se voit aussi dans les bulletins blancs et nuls : et j’ai l’impression qu’ils étaient rarissimes hier. Un peu partout, les électeurs ont fait le choix raisonnable de coalitions qui leur semblaient cohérentes, ou d’équipes sortantes qui leur semblaient solides, contre des aventuriers, des fusions trop douteuses, ou parfois des sortants affaiblis par trop de départs.

La couleur politique ne me semble pas avoir beaucoup joué — et ce que je lis sur Perpignan ou Paris 9ème confirme la règle. Dans certaines villes (avais-je déjà vu ça ?) le 2ème tour s’est joué entre 2 ou 3 listes “divers” mais de teintes politiques voisines, celles correspondant à l’identité politique habituelle de la ville (Lille, Montpellier, Courbevoie pourraient être décrites comme ça… et même Lyon selon certains).

Le mouvement Gilets Jaunes, le plus ample mouvement public de citoyens depuis 1984, ne s’est pas *du tout* retrouvé dans ces municipales. Il avait occupé les rond-points de périphérie, il a évité la place de la mairie.

Ça me suggère un autre scénario pour expliquer tout ça ; non plus partis hors système contre du système, ou dégagisme national contre localisme sérieux ; mais plutôt entre deux conceptions de la citoyenneté.

Selon une conception, devenue minoritaire (mais très présente dans les villes-centres de pouvoir comme dans les logements sociaux attribués par le décideur politique), la vie collective passe par les canaux de décision politiques formels. Il faut voter, s’investir : localement, avec les élus et en leur parlant ; nationalement, en manifestant ou pétitionnant en direction “du pouvoir”, du souverain quel que ce soit ce lointain personnage.

Selon une autre conception, devenue majoritaire, la vie collective passe par de multiples lieux et canaux indépendants de la décision politique au sens de la démocratie représentative : TikTok ou le centre commercial, la SécSoc ou le lycée… certains sont certes historiquement créés par le politique et restent gérés par lui, mais sans alternatives, sans décisions ; l’époque où les profs, ou les agents de la SNCF, pouvaient être considérés comme des “hussards noirs” obéissants comme une armée, est révolue depuis des décennies. Il se sentent propriétaires de leur mission et, dans l’épidémie, les ministres ne faisaient guère plus que commenter les comportements de ce que furent leurs troupes.

Les 1/3 qui ont voté ont voté très sérieusement ; les 2/3 qui n’ont pas voté ont peut-être fait le choix très rationnel de ne pas perdre de temps (ou prendre de risque) pour “rien”. Pour un “choix collectif” qui en fait, d’expérience, ne change rien.

Pour revenir à Résistons!, le parti que je connais le mieux, j’ai été étonné que beaucoup des adhérents que je connais, et sans doute la majorité, n’essaient même pas de s’investir dans ces élections. Malgré tout le “municipalisme” du parti, malgré toute la sincérité de leurs convictions citoyennes, en opposition aux grandes machines du capitalisme financier mondialisé.

Beaucoup m’ont donné l’impression que les affaires de leur municipalité n’étaient pas leur problème - parce que leur combat se voulait directement national, européen, mondial.

Beaucoup d’autres ont essayé, se sont investis localement, et se sont plantés. Grain moulu, grain à moudre.

Bon, mes amis me disent que beaucoup de mes posts ces temps-ci ont l’air amers ou déçus — alors que je me sens plutôt léger ou libéré !

J’essaye, en fait, de mettre à plat les morceaux épars de mon expérience, épisodique, de la politique partisane, en espérant que plusieurs regards m’aideront à mettre les pièces dans l’ordre, à en trouver le sens, à résoudre le puzzle !

(P.S. pour les amis argenteuillais : j’ai fait abstraction de la situation argenteuillaise pour écrire ce post, parce que, d’expérience, Argenteuil réagit souvent à contre-courant des mouvements politiques nationaux. Mon bilan pour Argenteuil est ici !).