Un commentaire chez Jean-Pierre Dufoix, lecteur de "2012, état d'urgence". Jean-Pierre Dufoix qualifie de "peu crédibles" les solutions proposées par François Bayrou pour l'école :
F. Bayrou (est) parfaitement lucide sur l’état de l’école en France. Néanmoins, ses remèdes sont notoirement insuffisants parce qu’il ne veut pas susciter (on le comprend) l’hostilité de ses anciens collègues.
Voici comment j'ai compris "2012" sur ce sujet, et mon point de vue.
Le face-à-face enseignant-élèves, c'est l'essentiel de ce qui marche à l'école. C'est pourquoi la réformite échoue systématiquement.
Je pense l'approche de F. Bayrou très juste : d'une part garantir au professeur qu'il pourra faire cours (surveillants, discipline assurée, relations avec les parents…) ; d'autre part s'appuyer sur l'expérience des enseignants qui réussissent le mieux, et la faire partager à leurs collègues.
Le rôle de l'Etat, à ce moment-là, c'est essentiellement de repérer ce qui marche le mieux, de façon aussi objective que possible.
Or la cooptation des "formateurs de formateurs" ou des enseignants d'IUFM n'est pas basée là-dessus. Et c'est normal : le meilleur praticien n'est pas forcément le meilleur formateur.
Il faut donc trouver un mécanisme qui repère les enseignants dont les élèves progressent le plus par rapport à leur niveau initial.
Comment ? La question a été soulevée par L'Hérétique dans un billet qui a suscité des commentaires passionnés.
Selon F. Bayrou dans "2012", repérer les enseignants dont les élèves progressent le plus, c'est ce à quoi devraient servir les évaluations.
En tant que statisticien, je suis tout à fait d'accord…
Les évaluations actuellement pratiquées (un même test pour tous les élèves de France, d'une même classe) sont trop légères pour suivre efficacement un élève.
Elles sont aussi trop lourdes s'il s'agit seulement d'apprécier le niveau global d'une classe d'âge : un échantillon de 40000 suffirait.
Elles sont à la bonne échelle s'il s'agit de détecter des groupes d'élèves qui progressent fortement d'une évaluation à l'autre, et ainsi, d'identifier les enseignants susceptibles de les avoir fait ainsi progresser.
Je suis statisticien, mais pas enseignant : qu'en pensent les enseignants ?
Salut Fred,
Difficile d'établir exactement ce que c'est que progresser : est-ce qu'on ne risque pas d'amener les enseignants à ne préparer que les évaluations ?
Il faudrait à mon avis des choses plus simples :
- des opérations en mathématiques (addition, soustraction, multiplication, division), avec des fractions, des puissances et des décimaux, ainsi que des problèmes incluant les diverses mesures (temps, poids, espace, prix).
- une dictée et une rédaction en français, à la rigueur quelques questions de grammaire simples.
- une évaluation à oral en langue vivante avec un sujet à traiter sur lequel parler.
- la capacité à situer sur une frise des grands moments de l'histoire de l'humanité, mais aussi de l'histoire de France, en donnant des éléments emblématiques.
Les évaluations d'aujourd'hui, je peux au moins te dire que les parents n'y comprennent rien (en tout cas moi quand j'ai vu celles de CE1 et CM2 pour mes propres enfants).
Si on veut avoir des évaluations claires elles doivent être simples et lisibles.
Il y aurait beaucoup de choses à dire sur les propositions de Bayrou dans Etat d'urgence concernant l'école.
Comme enseignante, je le rejoins évidemment sur la nécessité de recréer un climat de sérénité pour remettre les apprentissages au coeur des missions de l'école.
Mais je me demande vraiment comment on peut le faire à moyens constants (c'est à dire sans recréer une part des postes qui ont été supprimés) sans embaucher des surveillants ou assistants d'éducation supplémentaires. Ou alors sans ajouter deux heures de surveillance ou d'études dirigées à notre service...
Il prétend y arriver sans magie en ôtant des classes les fauteurs de trouble. Il précise qu'il ne s'agit pas d'exclusion mais qu'on doit ainsi, grâce au collège hors les murs, permettre à des jeunes de se construire dans un autre cadre que le cadre de l'école classique.
Deux objections à cette idée : d'abord, se construire autrement, cela sous-entend mettre à la disposition de ces élèves en difficulté et en échec social, culturel, cognitif des personnels formés à des méthodes pédagogiques, voire thérapeutiques spécialisées. Donc mettre des moyens...
Ensuite, pour avoir réfléchi longuement à ce sujet et avoir expérimenté certains dispositifs de classe d'aide, il est beaucoup plus difficile pour des élèves qui sont déjà marginaux : je parle de ceux qui refusent les règles de l'école et ont des comportements violents, voire qui sont à la limite de la délinquance, de se construire véritablement en étant isolés du milieu classique, dans la compagnie de ceux qui leur ressemblent. Loin de disparaître, les pratiques de dominant-dominé des quartiers se reproduisent dans ces espaces, et ce, malgré la présence d'encadrants solides et rassurants. Ou alors, il faut de vrais moyens... Et des éducateurs à temps plein, ce qui a du mal à exister depuis Jean Bosco !
Le dernier problème que j'ai avec Etat d'urgence pour le moment concerne cette mutualisation des bonnes pratiques. En réalité, elle me paraît déjà opérationnelle : les chefs d'établissement se parlent, ils se donnent des tuyaux (Le pb, c'est qu'ils ont trop d'administratif à gérer et que du coup, la part réservée à la recherche de solutions éducatives et pédagogiques est peau de chagrin... Mais ça Bayrou ne le dit pas ;-)), et comme ils circulent d'établissement en établissement durant leur carrière, ils transportent avec eux des idées neuves. Les enseignants aussi se parlent, nous cherchons tous des solutions et il y a sur internet abondance de forums et de sites qui permettent de mettre en commun des séquences, des idées de cours, d'exercices, pas seulement pour préparer un cours vite fait, mais pour réfléchir collectivement à nos pratiques et aux meilleures façons de transmettre... Donc, je ne vois pas très bien ce que F. Bayrou veut ajouter, sauf à nous permettre de davantage nous parler encore, ce qui signifie introduire dans notre service des heures de concertation et d'équipe obligatoires, et à décharger les chefs de la paperasse et de la mise en oeuvre des dispositifs techno qui fleurissent dans tous les coins pour qu'ils puissent enfin bosser dans LEUR bahut, avec LEURS enseignants et LEURS élèves.
De plus, je pense assez mauvaise l'idée qui a fait son chemin, un long et peu productif chemin de l'unicité des établissements scolaire : il faut au contraire, je crois, tout en préservant la dimension nationale des diplômes et des formations (faire voter les programmes par le Parlement me semble à moi une bonne chose ; ce que les élèves apprennent est une cause nationale puisque nous formons des citoyens), davantage "territorialiser" les établissements, afin de prendre en compte la spécificité de leur environnement et de leur recrutement. Absolument pas pour stigmatiser ou pour classifier, j'insiste, mais pour viser à une cohérence de partenaires très divers autour de l'établissement, en partenariat avec les maisons de quartier, les équipements culturels, les familles bien-sûr et les patrons qui cherchent des stagiaires, les entreprises locales... Cela justifie la notion de "communauté éducative" et prend en compte l'école comme une composante de la vie dans la cité et non comme un blockauss autocentré et fonctionnant en vase clos. A ce titre, l'échange des bonnes pratiques doit être élargi pour moi à l'ensemble des partenaires qui travaillent autour de l'enfant (dans son environnement), et pas seulement aux établissements entre eux... C'est une vraie piste de sortie de crise pour une école malade d'elle-même.
Pour le reste, je rejoins l'Hérétique sur les idées qu'il développe au sujet de l'évaluation. Je défends bec et ongles ma liberté pédagogique, et je suis hostile à toute forme d'évaluation commune (que je juge artificielle, et très désincarnée) de compétences qui me transformerait en machine à produire du clone... Hélas, le système nous conduit à cela de toutes part: pisa, socle commun, et j'en passe. C'est la mort des Humanités qui passent par l'imprégnation autant que par la manipulation de savoir-faire !
Et c'est fini pour ce soir...
La contrainte budgétaire est incontournable. Il faudra donc que chacun se sorte la tête du ... pour atteindre les résultats sans moyens supplémentaires, en tout cas les trois ou quatre premières années..
Alors, il faut que Bayrou nous le dise ! Et c'est bien ce qui manque dans Etat d'urgence !
@ L'Hérétique
Les calculs sur les puissances font partie des compétences censées être acquises en fin d'année de 3ème (et normalement même en 4ème), et inscrites au SCC. De ce que j'ai vu, de ce que je vois encore, même si mon expérience est petite, si le SCC maths était réellement appliqué, 50% des élèves de 3ème que je connais auraient été ou seraient rejetés sur ce point précis. Je ne sais pas quel est le niveau de représentativité de mon échantillon, mais tous les profs de maths (du public) que j'ai rencontrés s'accordent à dire que les puissances posent de gros problèmes aux collégiens. Alors pourquoi les maintenir dans le SCC? Les puissances posent moins de difficulté dans le privé, ce qui peut faire réfléchir d'ailleurs (les profs y sont-ils meilleurs?!) J'ai vu aussi tout comme toi des SCC de CM1-CM2 complètement délirants ou incompréhensibles... D'ailleurs, je n'y ai rien compris: décomposition d'un nombre en écriture fractionnaire, symétrie axiale, etc... Enfin si, j'ai quand même compris, mais je n'ai pas compris qu'on puisse réclamer tout ça en primaire, avec parfois en plus le vocabulaire mathématique qui va bien. Ca me rappelle le temps où on enseignait les relations d'équivalence (réflexives, symétriques, transitives) et les relations d'ordre (réflexives, antisymétriques, transitives)... dès la 6ème. Alors qu'aujourd'hui, ce n'est plus du tout enseigné dans le secondaire.
Pour ce qui concerne la grammaire, même si je pense écrire à peu près correctement, j'ai constaté qu'au niveau CM2 j'étais déjà complètement largué... Où va t-on comme ça, sans savoir vraiment où on va?
@ Frédéric
La question est peut-être juste de savoir si quand on parle d'évaluation on parle d'évaluation des élèves ou d'évaluation des enseignants? Je ne suis pas sûr que les deux puissent être confondues. Et là, il y a je trouve une ambiguïté de la part de F. Bayrou, lorsqu'il parle de partager les expériences qui ont donné les meilleurs résultats. De ce que j'ai pu constater, les enseignants partagent la plupart du temps volontiers leurs "bonnes méthodes". Parce qu'il n'y a pas de compétition, contrairement au monde de l'entreprise, et que la rétention d'information est totalement hors de propos. Mais en revanche, le travail est plus solitaire, et de ce fait l'esprit peut-être plus individualiste. Le métier est sans doute d'ailleurs par nature plus individualiste, dans la mesure où les premiers interlocuteurs des enseignants, ce sont leurs élèves et non pas leurs collègues.
Encourager ces pratiques de collaboration me semble être une très bonne chose. Les évaluer est je crois beaucoup plus difficile, tant il y a de facteurs qui rentrent en jeu, et tant il pourrait y avoir de dérives si on évalue dans le même temps élèves et enseignants. Ca me paraît même contradictoire et dangereux, notamment si certaines - je dis bien certaines - familles s'en mêlent...
Il me semble que le plus grand problème est quand même l'hétérogénéité des niveaux des élèves qui s'accroit plus on monte de niveaux. Dans une même classe, mais aussi entre établissements. C'est ce fossé particulier qu'il convient, selon moi, de rétrécir au maximum. Si on mélange tout et qu'on ne prend pas chaque problème séparément, je pense qu'on risque de déraper et juste de cliver, comme on a trop l'habitude de faire. Si on met en compétition, on ne fera que renforcer l'individualisme, la rétention d'information, le chacun pour "sa gueule". On amènera à l'E.N des pratiques bien connues dans les entreprises privées. Et on dégoûtera encore plus les vocations.
Une expérience de réussite ne peut pas être appliqué dans un autre établissement, car ils sont tous très différents (équipe de direction, équipe pédagogique, personnels, élèves, parents, locaux.....)
Dans un même établissement, une expérience de réussite a une durée de vie de 2 à 3 ans (expérience personnelle).
Non aux évaluations à répétition qui ne servent qu'à jouer avec les chiffres en haut lieu. 1 évaluation en fin de CM2.
Il faut aussi donner l'autonomie totale aux établissements. Qui connait les problèmes, qui les solutionne au quotidien....
Si nous voulons des résultats significatifs dans 10 ans commençons aujourd'hui par la maternelle et l'école primaire (voir mes propos sur France Démocrate).
Enfin il faut redonner le moral aux équipes pédagogiques.