Le gouvernement et le Président semblent avoir changé d'avis : foin de résolution et d'arrêtés, il faut contre le voile intégral une loi. Disons-le en grand : une grande loi.

Ça part dans une direction malsaine : prétendre défendre les Français contre le droit lui-même. C'est saper la construction démocratique. Quel jeu peut en "valoir la chandelle", sinon de remonter dans la lumière des sondages ?

On a bien senti, là-haut, l'allergie des Français contre ceux qui sont perçus comme des donneurs de leçons : droit-de-l'hommistes, justice européenne ("Bruxelles"), ces messieurs inconnus qui rendent des avis devant les caméras, "Conseil d'État" et autres phraseurs… La voilà, l'anti-France contre laquelle mobiliser l'identité nationale !

Or, Messieurs les Gouvernants, vous ne tenez votre pouvoir que de ce droit et de ces institutions-là. Sans institutions démocratiques, le suffrage populaire ne serait qu'un sondage d'opinion. Réfléchissez bien, avant de jouer l'opinion contre la loi.


Que dit le droit ? J'ai mes sources, même un peu anciennes : "La loi n'a le droit de défendre, -c'était le mot du temps pour interdire- que les actions nuisibles à la société… Et à moins d'établir que porter un signe religieux est nuisible à la société, nul n'a le droit, pas plus cette assemblée (législative) qu'aucune autre autorité, de l'interdire !"

Alors OK, voyons calmement en quoi le voile intégral serait nuisible à la société.

Je vois quatre raisons souvent données pour fonder une interdiction.

  1. Le voile serait le signe, ou la preuve, de l'oppression de la femme par l'homme. Il faudrait libérer la femme de cette servitude. Cela conduit à une conclusion logique et juste : la loi peut condamner, comme violence conjugale, le fait pour un conjoint d'imposer une tenue vestimentaire à son conjoint. Je la voterais, celle-là.
  2. Le voile serait l'expression d'un prosélytisme agressif. Porter le voile, c'est imposer sa religion à autrui. Expérience répétée faite (j'en vois pas mal, de voiles), je n'en crois rien. Le voile intégral me semble plutôt couper la communication entre la personne et moi-même, que l'établir pour me faire passer un message, même religieux !
  3. Se cacher le visage permet d'échapper à la vidéosurveillance pour commettre des actes illégaux. Il faut exiger un visage découvert, pour la sécurité publique. Je comprends parfaitement l'argument, moi qui évite les lunettes de soleil. Une telle règlementation me semble tout à fait acceptable, si elle est proportionnée aux risques de sécurité (interdiction dans certains lieux publics, les services publics ?...) mais elle ne pourrait cibler le seul voile.
  4. Le voile est mauvais pour la personne elle-même. Il désocialise, il coupe de la société française. C'est l'argument qui me touche le plus, car j'ai bien l'impression que le voile intégral peut avoir cet effet-là. Mais la loi ne peut interdire aux personnes de faire ce qui est mal pour elles. Elle ne peut interdire de fumer, de se "cutter", de s'épuiser au travail en coupant tout vie sociale, de partir dans un délire mystico-religioso-millénariste, de traiter ses amis de 30 ans comme des valets. Tout ça n'est pas du champ de l'interdiction mais de l'aide, y compris une aide sociale dans certains cas. Comme nous avons besoin d'une police de proximité, nous aurions besoin de travailleurs sociaux non pas noyés dans les dossiers, mais "comme des poissons dans l'eau" dans toutes les communautés humaines de notre pays.

Regardons droit devant, faisons avancer le droit.


Voilà, après quelques années, j'ai pondu ma p'tite doctrine sur le voile ! Parce que ce n'est pas d'hier, cet affaire :

  • Je ne vais pas me voiler la face (déc. 2009)
  • Quelle éducation face au radicalisme religieux ? (mars 2006)
  • Quand des preneurs d'otages s'attaquent à la loi anti-voile (août - sept. 2004)
  • Anti-islamisme, ou l'obscurantisme en habit de lumières (avril 2004)
  • Protéger l'ordre public en interdisant le voile ? (jan. à fév. 2004)
  • Voile, kippa, turban : ce n'est que du tissu (sept. 2003)
  • et sur la position du PS, un rappel amusé en note de ce billet de 2006.