Je découvre ce matin sur son site l'initiative de Christophe Ginisty, le contenu de la lettre ouverte adressée à François Bayrou et à l'exécutif du MoDem, ainsi que la liste des signataires

Si j'avais été au courant, je n'aurais pas signé cette lettre - je ne signe que quand j'approuve la totalité, et il y a plus d'une formule désagréable.

Mais je suis bluffé de voir un texte aussi raide signé par cette liste de personnes - qui sont, en substance, parmi les plus dévouées des plus dévouées. Ces militants avaient, jusqu'ici, défendu avec persévérance la façon dont était géré le Mouvement, contre ceux présentés comme des contestataires. Des piliers, des moteurs du combat "pour la cause".

A en juger par la lettre et les premiers commentaires, ils sont au bord de l'écoeurement.

Le contenu de leurs demandes n'a rien de surprenant, il s'agit essentiellement de mettre en place ce qui avait été officiellement annoncé depuis la fondation du Mouvement.

C'est le ton, très exigeant, revendicatif ("Nous, les Promoteurs, voulons..."), qui surprend.

S'agit-il de grognards qui grognent, mais marcheront toujours ? L'hypothèse vaudrait s'ils demandaient à se reposer, à être laissés en paix ; c'est l'inverse : ils veulent être mobilisés, avoir l'impression de servir à quelque chose dans une organisation qui fonctionne.

Comment comprendre cette situation étrange ?

1) Je suppose que ce texte traduit une double incompréhension, une de la base et une du sommet du Mouvement, vis-à-vis des rôles et engagements respectifs de la base et du sommet.

La base, au moins celle qui s'exprime, voudrait apparemment un François Bayrou non seulement présidentiable, mais aussi leader de Mouvement (démocrate, civique, de citoyens actifs). Ces militants confondent en partie les deux rôles, croient que c'est le même genre de personne qui peut tenir les deux, une sorte de Kennedy Luther King. Il faudra bien qu'ils en fassent un jour leur deuil.

Le sommet s'imaginerait apparemment les adhérents Démocrates comme des supporters de François Bayrou, un peu comme les "supporters de Nicolas Sarkozy", les militants communistes disciplinés du temps jadis, que sais-je encore. Alors que ces adhérents sont venus après la présidentielle, non pour faire la campagne Bayrou, mais pour reprendre à leur compte le même combat dans toute la France. Certains peut-être se sentent empêchés de le faire par une organisation dont la préoccupation numéro 1 serait de ne pas gêner le Président du mouvement dans son action personnelle.

2) Il y a peut-être aussi une vision partielle des choses, aux deux étages.

Le sommet sait bien qu'une élection ne peut être gagnée par les militants, que la campagne de terrain permet de gagner au mieux 1 ou 2% des voix le jour de l'élection - et le résultat des européennes le démontre encore. Il faudrait donc donner la priorité au grand public sur les militants.

La base sait bien qu'un leader sans troupes ne serait pas crédible, aurait le statut public d'un chroniqueur plus que d'un gouvernant.

3) Il y a enfin, je crois, une incompréhension de la base, au moins des signataires, quant à la faisabilité de l'organisation structurée qu'ils appellent de leurs voeux.

Ils veulent des porte-parole, mais cela suppose une parole commune, connue de tous, pour être portée. Ils veulent des secrétaires nationaux thématiques, des Unions régionales, des représentations à l'échelle des euro-régions électorales, des commissions de la FED etc., des "flux d'information" en tout sens, mais quelles sont les conditions pour que ces communications entre personnes mandatées ne tournent pas à l'incohérence et au capharnaüm[1] ?

Il faudrait que toutes ces personnes soient en phase sur une même philosophie politique explicite, disons une même idéologie, qui puisse se décliner de façon cohérente par thèmes, régions etc.

Mais on n'en voit pas la trace dans leur lettre - "un nouveau champ politique, un espace protégé des dogmatismes", ça n'est pas bien précis[2].

On peut définir un projet commun de cent façons : par des slogans, des raisonnements, des exemples vécus, des modèles à imiter, etc.

Mais combien de militants, et même combien de signataires de cette lettre, ont lu le texte de l'été 2007 dans la revue Commentaire sur "Le projet démocrate" ?

Combien se mettraient d'accord sur le nom d'un gouvernant, d'un pays, d'une ville, d'une structure de quelque type que ce soit, authentiquement démocrate et exemplaire de notre combat ?

Il y a quelques jours encore quelqu'un (non adhérent, intéressé par la politique) me dit : "Démocrate je ne sais pas ce que c'est, tout le monde est démocrate ; tandis qu'UDF je comprenais bien ce que ça veut dire : de droite mais pas trop". Ourgl.

Point par point d'un programme politique, les militants démocrates s'accordent très facilement entre eux - comme avant eux ceux de l'UDF. Mais étrangement, la tonalité commune, la ligne mélodique d'ensemble, restent comme inaudibles dans notre société française.

En fait, il y a deux points de rassemblement : d'un côté l'action et le discours de François Bayrou, orateur principal et figure emblématique du Mouvement ; de l'autre l'expérience vécue entre adhérents.

Mais l'expérience entre adhérents a été en beaucoup d'endroits chaotique et décevante. Et l'orateur principal, François Bayrou, a connu un couac.

Voilà qui peut expliquer, sans doute, le désarroi général, et comment ces personnes en sont venues à signer cette lettre ?


Lundi 22 juin - une suite à ce billet ici.

Notes

[1] Précision (ajoutée après les 9 premiers commentaires ci-dessous) : je suis un partisan enthousiaste de la diversité d'expression, y compris au sein du parti, quand chaque personne exprime son point de vue sous sa propre responsabilité. Ça se complique quand elle est mandatée, que sa parole a acquis du poids, du pouvoir... Plus de cohérence devient nécessaire.

[2] Il y a plus de précisions, évidemment, dans la lettre. Ça ne modifie pas mon appréciation !