Je suis généralement en désaccord avec les deux tiers de ce qu'écrit Emmanuel Todd, et en particulier sa foi, à mon avis naïve et mal informée, dans l'effet miracle d'un "protectionnisme européen". Mais il y a toujours, entre deux inepties, de jolies formules. En voici quelques-unes, de son dernier entretien dans Libé au sujet du FN. Je suis encore en désaccord avec le tiers de ce que je sélectionne ici. Mais ça se lit bien !

… Précisément parce qu’ils se comportent comme des catholiques et qu’ils sont profondément laïcisés, les musulmans de France sont des Français ordinaires. Et, dès lors que les musulmans ne posent pas de problème spécifique à la société française, leur désignation, explicite ou implicite, comme non Français doit être considérée comme une attaque contre la cohésion de la communauté nationale. Le Front national est un front antinational…

(Je ne propose) nullement un protectionnisme français, mais bien d’instaurer au niveau européen des instruments de régulation des échanges commerciaux, ce qui, par définition, dépasse le cadre national.

On assiste actuellement à l’émergence d’une gauche, autour d’Arnaud Montebourg autant que de Jean-Luc Mélenchon, opérant la synthèse entre le projet économique protectionniste et l’idéal républicain compris dans son véritable sens, c’est-à-dire intégrant les immigrés et leurs enfants à la nation.

Le FN, qui se targue, à tort, de défendre des intérêts de la classe ouvrière, se sent menacé par l’apparition de cette nouvelle gauche.

L’accélération de la crise des dettes souveraines nous indique que nous n’aurons pas le temps de mettre en place le protectionnisme européen avant l’explosion de l’euro. Je le regrette, car j’avais voté pour le traité constitutionnel européen et je continue de croire que c’est à l’échelle européenne que nous devons construire des protections. Accepter la sortie de l’euro, ça n’est pas être antieuropéen, c’est seulement faire cesser l’acharnement thérapeutique sur une monnaie dont la classe dirigeante sait qu’elle est condamnée.

Et l’on pourra alors, si l’on veut, reconstruire une vraie monnaie unique, qui ne soit plus sous souveraineté allemande, comme aujourd’hui[1], mais un véritable bien commun.

Le FN version Jean-Marie Le Pen avait quelque chose de folklorique, puisque son programme alliait la stigmatisation des immigrés et le libéralisme économique (dénonciation du «fiscalisme», des fonctionnaires, etc.). A partir du moment où il associe xénophobie et étatisme, il se rapproche des fascismes d’avant-guerre. Il était national et libéral, le voici national et social, (convergeant) avec des tendances fascisantes à l’intérieur même de l’UMP.

Depuis quatre ans, l’impulsion des campagnes anti-immigrés, antiRoms et anti-islam a été donnée par le gouvernement. Les thématiques ethnique et autoritaire, c’est bien le sarkozysme qui les a portées. La stratégie, si caractéristique du fascisme, consistant à dire une chose et son contraire - par exemple, à se dire de gauche et de droite à la fois, ou à mélanger le social et le national - existe certes au FN, mais encore plus dans les discours écrits par Henri Guaino, où Nicolas Sarkozy en appelle aux figures historiques de la gauche au moment même où il confère des avantages fiscaux aux plus riches. Aujourd’hui, il délègue à Claude Guéant la charge de faire des «clins d’œil» à l’électorat frontiste. Pourquoi soupçonner toujours les gens de cynisme ? Peut-être est-il sincère, peut-être est-il d’extrême droite.

Le Parti socialiste représente la vieille culture raisonnable de la France. Ce sont des gens polis, qui continuent de penser que, si l’on ne fait pas trop de vagues, «ça va passer». (Pour lui,) il suffirait de gérer les affaires de l’Etat de façon raisonnable pour se poser en alternative à la montée de folie et de violence qui caractérise les droites.

La France a besoin, pour une période anormale, … d’affronter un capitalisme de plus en plus inégalitaire et de plus en plus violent.

Les ultrariches, la gauche ne doit pas avoir peur de les taxer, … de prendre le contrôle de la gestion des banques. Elle doit parler en maître à la nouvelle aristocratie financière - le mot est de Lionel Jospin, je vous le rappelle. Et c’est là que l’escroquerie de Marine Le Pen sera dévoilée. Le FN fait semblant d’avoir deux adversaires : les immigrés et l’establishment, mais la réalité est que la dénonciation des immigrés lui permet de garder le plus grand flou sur ce fameux establishment qu’elle prétend combattre. Si je devais résumer d’une seule formule ma pensée, je dirais ceci : en triant les Français selon leurs origines, le Front national divise les classes populaires et protège l’oligarchie financière.

Notes

[1] Là, je suis complètement en désaccord ! L'euro est plutôt sous souveraineté "grecque" qu'allemande, au sens où chaque Etat incivique en a fait ce qui l'arrangeait !