Ce matin aux "4 vérités", le journaliste interrogeait Yann Wehrling sur la situation dramatique de l'emploi en France : les économies drastiques envisagées par François Bayrou ne risqueraient-elles pas d'aggraver les choses ? Ne faudrait-il pas plutôt une nouvelle relance de l'économie sur fonds publics ?
Cette fausse alternative commence à m'énerver sérieusement.
Primo, quand on est surendetté et que les créanciers coupent le robinet, l'équilibre n'est pas un "choix possible" dans un QCM. C'est la condition pour continuer. Le choix n'est pas celui du niveau d'économies ou de nouvelles recettes (100 milliards) ; c'est celui de "qui" doit payer : les secteurs productifs ou les secteurs rentiers ? les pauvres ou les riches ? l'argent investi en France ou celui stocké aux Caïman ? Là, il y a des choix politiques.
Deuxio, le jour où une relance économique sur fonds publics marchera, dans n'importe quel pays comparable au nôtre, mettez-moi un mail.
Les trois conditions pour retrouver l'emploi en France, pour mettre fin à ces trois décennies de chômage, je ne surprendrai personne en les énonçant : c'est produire, instruire, construire une démocratie durable.
En période de crise financière, une politique de l'emploi crédible, c'est une politique de l'emploi productif, celui qui rapportera de quoi le payer. Ceux qui prétendent créer des emplois sur fonds publics mentent, ils n'en auront pas les moyens. Notre priorité c'est de créer les conditions pour que les entreprises investissent en France, qu'elles y créent des emplois, et des emplois durables, pour se développer.
Quand on écoute les chefs d'entreprise, (Cf. la récente enquête de l'Institut de l'Entreprise), ils disent que ce qui leur manque pour développer leur activité, c'est de trouver à embaucher des gens bien formés, qualifiés et opérationnels. Quand François Bayrou dit "produire, instruire", ce ne sont pas deux priorités en concurrence, c'est une même priorité ; si au collège, les jeunes apprennent qu'on s'en sort à l'aise en tirant au flanc, alors le collège les prépare à une vie d'assistés. L'école doit préparer les jeunes à jouer un rôle actif dans la société.
Alors finissons-en avec le pipeau des "dépenses de relance".
Depuis 30 ans, les gouvernements croient avoir le choix entre soit mettre les comptes en ordre, soit créer de l'emploi,… alors évidemment ils choisissent l'emploi[1] !
Ne serait-ce que pour leur survie à court terme : mieux vaut la banqueroute pour votre successeur, que la grève générale pour vous aujourd'hui !
Et qu'est-ce que ça a donné ? À la fois le chômage et la ruine.
La seule politique qui peut marcher, c'est… l'autre : l'équilibre des finances POUR l'emploi.
Si vous étiez une entreprise allemande ou chinoise, est-ce que vous viendriez créer des emplois dans un pays en faillite ? Et d'ailleurs, si vous êtes un patron français, c'est la même chose ! Pour investir, vous avez besoin d'être sûr que les services publics continueront à fonctionner, que la démocratie et la paix civile sont assurés, que la monnaie est stable, qu'on n'est pas menacés d'une inflation galopante… Pour investir, vous avez besoin de pouvoir faire confiance à la façon dont le pays est gouverné.
Donc, la toute première condition de la croissance et de l'emploi, c'est de retrouver un gouvernement crédible, stable, qui ait la confiance des citoyens. Démocratie, ça veut dire un pouvoir — réel, sur les choses — détenu par le peuple. Ce que nous connaissons en France, c'est une guignolade où droite et gauche se disputent les palais nationaux, en ayant renoncé depuis longtemps à changer les choses au-delà du périph'.
Construire une démocratie durable, faire dialoguer et coopérer les "acteurs" de la société[2], ce sera l'acte fondateur d'une nouvelle croissance.
Notes
[1] S'il faut nuancer : les gouvernements Juppé et Jospin ont fait un peu mieux ; ont essayé de prendre au sérieux les deux objectifs. Mais si timidement, hélas.
[2] Acteurs, société civile, socio-professionnels, partenaires sociaux, parties prenantes, le jargon politique abonde, curieusement, pour désigner les gens qui se bougent…
croire que la simple injection d argent frais dans l économie suffiras à régler le problème c est ne pas avoir pris conscience que c est le systeme qui est a bout de souffle la croissance perpétuelle est une utopie d économiste nous n avons pas les ressources nécessaires
"le jour où une relance économique sur fonds publics marchera"
Je peux vous citer l'exemple de la planification française, jusque dans les années 80 : concorde, airbus, TGV, EDF et son réseau (avec les travaux hydrauliques) ... après, pschitt.
@ fultrix, patrick : c'est exactement ça
L'investissement public industriel ou dans les infrastructures, générateur de croissance, c'était la formule magique keynésienne des années 30 à 70. Ça marchait dans une économie industrielle, une logique de montée en puissance continue. Ça marche tout aussi bien aujourd'hui en Chine et sans doute dans d'autres nouvelles économies industrielles.
Mais dans des pays à la situation comparable à la nôtre, quand le défi est de passer de "l'industrie industrialisante" de jadis à un développement durable, économe des ressources de la planète ?…
Aujourd'hui, les défis sont :
- préparer les habitations "traditionnelles" (parpaings etc ) à devenir BBC
- permettre la production locale et en tout genre (eau, bois, méthanisation, vent, photovoltaïque ...) d'électricité (ce que le grenelle laissait espérer mais que la fin des défiscalisations à tué dans l’œuf la filière française ou européenne, d'autant que nombres de "petits malins" se sont engouffrés dans la combine pour vendre à prix d'or du matériel incapable de tenir les rendements ...)
- Dé-pollution de sites ou abords des routes avec les lixivats d'hydrocarbures par phytoremédiation
- restaurer la comptabilité ordinaire des centres hospitaliers et ne pas oublier que ce sont des services publics et non pas des entreprises qui doivent dégager des bénéfices, idem pour les services de "secours" (allocations diverses) et les assurances
- rétablir les 14 tranches d’imposition, voire plus, afin de rendre l'impôt progressif et ne jamais oublier qu'au delà d'une certaine somme de revenus, ceux qui les perçoivent ne courent qu'à la défiscalisation (cf. étude mondiale dans le magasine "alternative économique" été 2010 ou 2011) ...
Bref, il y a à faire, encore faut-il en être convaincu et ne pas se laisser décérébrer par la pensée unique et vouloir jouer "collectif".
@fultrix
Au moins voilà du contenu, bravo. Qu'on soit d'accord ou pas avec, c'est un plus car pour l'instant cela manque cruellement dans la campagne.
La politique keynesienne n'est pas possible que dans une économie relativement fermée. Or actuellement, l'économie française est fermée .. sur l'Europe. De grands programmes d'investissements, écologiques et autres, sont possibles en concertation avec nos voisins, et en priorité l'Allemagne et l'Italie, chacun en phase de redéfinition de leur modèle, et en face de différents défis démographiques. Mais dans chacun de ces pays, l'opinion souhaite une relance juste et écologique, qui renforce la compétitivité au lieu de l'handicaper. Il y a donc un terrain d'entente.
Le prochain président devra être capable de faire les ponts, de passer les barrières linguistiques avec son entourage. Politiquement, il faudrait aussi soulever la question de la synchronisation des élections nationales.
D'accord pour l'investissement écologique. Ne pas oublier la collaboration avec les pays du tiers monde qui devraient être une source de développement, et non d'émigration.
Pour l'imposition IRPP, attention de ne pas se tromper de cible. L'essentiel de la fiscalité repose actuellement (chez nous et chez les Belges) sur les charges sur les salaires du secteur privé. Qu'on estime comme J.Peyrelevade que ces charges sont payées par les propriétaires de l'entreprise ou comme moi qu'elles ne reposent véritablement que sur le salarié. Ces salariés du privé, qui ne disposent pas d'un régime de retraite protecteur, doivent de plus, si ils ne sont pas au SMIC, épargner dans des conditions incertaines pour éviter d'avoir en 2020-2040 des retraites au minimum vieillesse. Voir Louis Chauvel.
Toute réforme de la fiscalité devra donc baisser un peu les charges salariales, les reporter sur tous les revenus, et équilibrer la fiscalité globale entre salariés du privé, salariés du public ou bénéficiant de régimes spéciaux de cotisations et de retraites, et retraités actuels.
Et une TVA sociale européenne bien conçue doit être soigneusement étudiée.
Les charges salariales ne deviennent un sujet de conversation que lorsque les produits entrent en concurrence avec des biens issus de pays où le salariat vit d'une "misère".
Je rappelle le cas des tissus Boussac, pour bien faire comprendre qu'il ne faut jamais s'arrêter d'innover : http://www.archivesnationales.cultu...
S'il faut fabriquer de la nullité, prenez une machine, pas un salarié avec une compétence, un savoir faire et un tour de main unique !
Comme par hasard, les produits de niche ou à forte valeur ajoutée ne connaissent pas ce débat.
L'innovation reste le seul maître mot, encore faut-il y consacrer du temps, de l'argent et ne pas tout faire pour que le dividende tinte comme une jolie musique aux oreilles égoïstes et destructrices des divers fonds de pensions ou actionnaires avides (n'oubliez jamais qu'avant les années 80, une "valeur bancaire" avait un rendement de 7% dans les années fastes et que depuis que ces fichus fonds, que j’exècre pour leur juste nuisance économique, exigent 15 à 20% : il n'y a pas de fatalité, juste des choix !)
Les charges sociales sont d'abord un handicap dans le commerce intra-européen.
On en a un exemple concernant les produits agricoles où l'agriculture allemande qui bénéficie de taux de charges moindre -et il est vrai de salaires aggressif de minimum de branche - concurrence l'agriculture française, et même la chasse des restaurants.
L'agriculture française n'est pas forcément protégée par sa qualité ou son innovation. L'innovation va certes être primordiale, mais il faut être conscient que toute la population active ne peut être dans une activité innovante. Il faut que les activités traditionnelles aient les moyens de survivre.
En dehors des problèmes des importations, le haut taux de charge salariale est un problème. Un employeur va arbitrer parfois entre un poste de service et un investissement dans un matériel censé rendre le même service. Le critère de choix est faussé par le fiscalité. Même chose pour un particulier qui aura le choix entre payer un service, faire lui-même, acheter un matériel, ou choisir de ne rien faire.
C'est enfin un problème de justice fiscale. Les charges sociales tendent à réduire l'emploi ou à baisser le salaire net de citoyens moyens ou modestes. Certains revenus (auto-entrepreneur, épargne) sont moins fiscalisés. Rien ne le justifie.
Voir aussi Jean Arthuis :
http://www.jeanarthuis-blog.fr/inde...
Entre le littéraire François Bayrou et le prix nobel d'économie Paul Krugman, ma raison balance... ou pas
http://www.nytimes.com/2011/12/30/o...
@ internaculo : je ne suis certainement pas moins keynésien que Krugman, mais il y a trois choses problématiques :
1) La France est un "petit pays" (4% du PNB mondial) qui ne peut pas raisonner de façon isolée, alors que les Etats-Unis le peuvent encore ; en économie ouverte, la relance publique produit… des importations, qui aggravent le fardeau (les Français l'ont compris depuis 1981, mais c'était déjà vrai en 1974 avec la relance Chirac).
2) *Quelles* dépenses publiques produisent… des emplois productifs ? C'était assez facile à savoir l'époque du développement industriel : il fallait investir dans les infrastructures pour l'industrie (centrales électriques, routes, électrification du rail…). Mais aujourd'hui ? Une vision macro-économique comme celle de Krugman ne le dit pas.
3) Dépenser plus est tout simplement un choix que la France n'a plus, faute d'avoir économisé dans les années fastes (sous Rocard et Jospin notamment). Quand on est surendetté et qu'on va voir ses créanciers en disant : "j'ai un super-plan de relance pour m'en sortir, il suffit que vous me prêtiez plus", ils vous ferment poliment la porte au nez, Nobel ou pas…
paradoxal, ce commentaire d'un employeur disant que l'on ne trouve pas de gens qualifiés, avec tout notre système de formation ?
les charges sociales sont aussi une richesse, car elles diminuent l'inégalité, et permettent à chacun de s'en sortir : peut-on supposer qu'un système plus inégal serait plus performant ?