Merci du fond du coeur aux amis qui ont commenté mon article précédent sur ce blog et sur facebook. C'est un sujet si délicat, si vital, qu'on écrit en hésitant (même 29 ans après le pape !), bravo à ceux qui ont eu ce courage.

Et il me conduit à ajouter à ce billet quelque précision et (non-)témoignage.

Précision 1 : je considère l'entreprise privée, le salariat en CDI, comme une situation assez saine par nature. Je l'ai vécu quelques années, j'ai été employeur également. Je n'ai jamais eu l'impression d'être victime ou auteur de pressions pouvant casser une personnalité. Même si, il y a 13 ans, j'ai choisi l'indépendance, la liberté.

On oppose souvent grandes entreprises multinationales (présumées inhumaines) et PME (à taille humaine)[1]. Je pense qu'il y a du vrai, mais les mécanismes de "double contrainte" qui écrasent les gens fonctionnent à petite échelle - dans la relation avec les collègues, le chef direct dans le cas de Stéphanie. Cela existe aussi dans les PME. Et cela n'existe pas forcément dans toutes les multinationales.

Précision 2 : bien sûr, le témoignage de Stéphanie dans son dernier mail à son père ne peut être considéré comme un jugement objectif ou représentatif sur son entreprise. Dépressive d'assez longue date à ce que j'ai lu (et son mail à son père y fait allusion), elle voyait certainement son environnement en négatif. Et j'ignore si son travail était en quelque façon une cause de sa dépression, à côté de ce que cette personne vivait hors du travail.

Ce qui m'a frappé, c'est que, indépendamment me semble-t-il de son état dépressif[2], le langage qu'elle a employé pour décrire sa situation au travail m'a semblé ressembler à celui de victimes du totalitarisme.

Qu'est-ce que j'en sais ? Pas grand chose à vrai dire.

Je n'ai aucune expérience personnelle du totalitarisme - avoir vécu, à quelques kilomètres de distance, un coup d'État, n'en tient pas lieu.

Avoir été, fin 1989, acheter un marteau et un burin à Berlin-Est pour attaquer le mur de l'intérieur, ce n'était pas entrer dans le feu, c'était s'amuser à danser sur les cendres éteintes.

Ce que j'ai vécu de moins éloigné du totalitarisme, c'est, à mes 18 ans, quatre mois de formation d'officier d'infanterie à Saint-Cyr Coëtquidan - formation fraternelle, solidaire, humaniste, concrète, etc. - j'en suis sorti officier convaincu. Subir quelques nuits blanches ou interrompues entre alertes et tirs de nuit, me répéter des dictons comme "Réfléchir c'est déjà désobéir" qui circulaient entre élèves, m'y ont appris à "ne pas penser". C'était la première fois de ma vie que ça m'arrivait, de pouvoir passer un moment sans penser. C'est la seule fois de ma vie que j'ai pu faire 50 pompes - aux pieds de l'officier réputé auteur du dicton - je n'ai jamais dû dépasser 20, sinon.

Je déduis de cette minuscule expérience que, au moins pour l'intellectuel que j'étais, au moins pour une personne de coeur comme semblait l'être Stéphanie d'après son mail, de tous petits moyens, de toutes petites pressions, peuvent suffire à vous faire basculer dans un état de (non)-conscience, caractéristique, en effet, de la vie dans un système totalitaire.

Notes

[1] verel a critiqué ce cliché dans un bllet récent ... que je ne retrouve pas.

[2] Etant ignare en psychiatrie, j'ignore si cela a un caractère général ou singulier, dans les cas de dépression.