Joshua fit the battle of Jericho
And the walls came tumbling down
C'est un de mes gospels préférés. Je me souviens du Golden Gate Quartet sur Taratata. Je cherchais moyen de vous en dire un mot, histoire de faire un clin d'oeil au Crapaud. C'est le hit de Christophe Maé qui m'y décide.
C'est un de mes gospels préférés, mais … je respecte trop les lois de la physique pour imaginer une musique faire s'effondrer des murailles de terre et de pierre. Pas assez de résonance. Et j'imagine mal que le narrateur nous ait caché une escouade de sapeurs sous les murs de Jéricho : en général, le narrateur biblique adore les ruses gagnantes. S'il y a un travail de sape, il doit être dans le texte.
Un des textes bibliques que je trouve grandioses - à imaginer dans la peau des personnages.
Le peuple et les prêtres qui font le tour de la ville, les prêtres en sonnant de la trompe, le peuple en silence. Qui chaque matin le refont, à l'aurore, le tour de la ville, le tour des murailles inviolables, sans savoir pourquoi, sans savoir combien de temps durera la plaisanterie. La marche absurde. Montrer sa faiblesse. Sous le regard pesant de la garde qui des murailles, la première fois s'étonne, se gratte la tête la deuxième fois, rit la troisième, siffle, jette des cailloux... Le peuple et les prêtres marchent parce qu'un illuminé le leur a ordonné, et qu'ils lui font confiance.
Regardez le peuple, les prêtres, les soldats, la sixième fois, alors qu'ils commencent leur sixième tour de la ville, le trente-sixième tour ! Ils se demandent ce qu'ils font là à se bousiller les pieds, à processionner en pleine guerre. Josué leur a dit de ne pas ouvrir la bouche sans son ordre. 36 tours de ville qu'ils marchent en attendant l'ordre.
Josué, l'illuminé. Il a lancé ce truc-là parce que "Le Seigneur" le lui a dit - genre, il a fait un rêve - on dit dans la Bible un "songe", ça fait plus chic. Mais en français, "c'est dans ses rêves". Il a lancé ce truc, et il est dans la même situation que les autres. Mal aux pieds, six jours, trente-six tours de ville. Voyage en Absurdie.
La différence avec les autres, c'est que lui a toute la pression. Tout le monde le regarde de travers. Tous les conseilleurs défilent : une stratégie plus appropriée serait de conclure une alliance, même minoritaire, avec l'un ou l'autre des partis qui tiennent Jéricho ! N'a-t-il pas déjà des antennes dans la place, la prostituée Rahab ? Josué tient bon parce qu'il en sait un peu plus que les conseilleurs - il sait qu'après le 6ème jour, il y en aura un 7ème, il sait que, dans ses rêves, les murailles vont s'écrouler.
Les gardes armés de Jéricho. Ils ne sont pas cités par l'auteur biblique, pas un mot sur eux. Tenez, imaginons-les le quatrième jour, déjà fatigués de rire de ce manège. Le cinquième jour énervés, il faut se frotter les yeux et les oreilles pour voir encore cette procession poussiéreuse, entendre encore ces sonneurs de trompe épuisés. Le sixième jour on fait les comptes, 6 fois 6 36 (on croyait que, dans leur religion, on comptait jusqu'à 7 !). On se regarde les uns les autres. Épuisés de gamberger. Qu'est-ce que c'est que ce délire, que ce rite aberrant ? S'ils ne nous attaquent pas, pourquoi ? Si ce n'est pas la guerre, c'est quoi ?
Bon, ce qui est rassurant, c'est que c'est sans doute terminé : 6 fois 6 tours.
Et puis non : le lendemain ça recommence, la même ronde étrange, les mêmes six tours… et ça empire ! Regardez : Josué continue, commence un 7ème tour, et à sa suite les hommes armés, les prêtres, le peuple silencieux. Il a dû se tromper en comptant ? Non, il se retourne vers le peuple. Que leur crie-t-il ? De crier !
Ils crient et ils grimpent à toute allure, ils se jettent vers nous - comme si leur dieu leur avait livré la ville.
Ce qui se passe là, c'est trop pour moi. Qu'est-ce que vous faites, vous ? Moi, je file.
Les portes s'ouvrent, les hommes sautent des murs, Jéricho tombe. Joshua fit the battle of Jericho / And the walls came tumbling down.
Et je te vois comme un grand guerrier
Qui ne tire pas de peur de blesser
Et je te vois comme un grand guerrier
Qui rit aux éclats devant toute une armée
Suppression d'un commentaire hors sujet du billet. (FrédéricLN)
C'est jouissif !
Celui qui a écrit ce texte biblique a sans doute médité sur des ruines. Il parait qu'à l'époque supposée de Josué, Jéricho était depuis longtemps détruite. Ce qui n'enlève rien au génie du rédacteur, ni à celui de ce billet : au contraire !
Pour l'abandon, oui -> Cf. l'historique archéologique dans http://www.bible-service.net/site/6... . L'analyse textuelle dans la suite du même billet indique que le personnage de Josué a été rajouté sur un texte préexistant. Et dans la logique habituelle des analyses de textes bibliques - révéler des stratégies des rédacteurs - elle explique que "la malédiction finale contre tout homme qui relèverait Jéricho de ses cendres (v. 26) prépare le lecteur à interpréter négativement l’action de Hiel rapportée en 1 R 16,34. À présent donc, le récit s’inscrit dans une visée théologique polémique face à l’infidélité de Juda qui l’a conduit à l’exil. Nous sommes loin d’un récit relatif à la conquête de la terre !"
Je préfère ton interprétation hugolienne / la Légende des Siècles "Ce fut alors que Josué jura, en disant: Maudit soit devant l'Éternel l'homme qui se lèvera pour rebâtir cette ville de Jéricho!" - on est dans le second romantisme, un écrivant, fan du site quasi-désert de Jéricho, a eu vent de la légende qui interdit de rebâtir la ville, car c'est l'Éternel qui en a fait tomber les murailles, etc.
Nous voilà avec trois lectures bien différentes. L'hébreu, langue concrète, dit "Le Seigneur dit à Josué" et "les murailles s'effondrent" et on se représente un Seigneur qui dit à Josué, et des murailles qui s'effondrent. L'analyste des textes a repéré trois ou quatre rédacteurs qui font leur miel d'un substrat antérieur ; il nous en apprend beaucoup sur l'histoire et la civilisation juive de l'époque où on a rédigé ces textes. Hugo médite sur les ruines et fige pour la postérité une légende qui dit à notre coeur la puissance formidable de la foi, du destin, de ce qui est enfoui en nous. Et celle qui me touche le plus est la quatrième, celle du psycho-sociologue (amateur) qui dans "Le Seigneur dit" voit un homme qui songe, dans "la muraille s'effondre" voit un rempart qui tombe aux mains des assaillants, dans la procession des Hébreux voit un rapport de force entre la profession de foi et la raison raisonnante.
En fait, c'est pour une cinquième raison que ce texte m'est souvent venu à l'esprit depuis un an, c'est parce que c'est un negro spiritual, qui dit un espoir insensé que s'effondre un jour, devant les cantiques, la muraille qui protège l'Amérique esclavagiste, l'espoir insensé que l'on puisse entrer dans la ville de plain-pied. C'était une muraille qui s'effondrait quand s'est mis à pleurer, devant Barack Obama élu, le révérend Jesse Jackson, celui qui négociait depuis des décennies au pied de la muraille, celui qui avait promis de couper les … au candidat Obama. Enfin voilà. On est vendredi, au boulot !