Le vote utile et l'immigration, deux raisons pour lesquelles ça l'a pas fait pour les LibDems...

Le vote utile saute aux yeux dans ces cartes électorales du Guardian.

Votes.jpg

Le Labour est à moins de 10% (en gris) dans des dizaines de circonscriptions du Sud-Ouest, ainsi que de la frange Sud de Londres.

Les LibDems ont peu de circonscriptions à moins de 10%, mais sont entre 10 et 20% dans la grande majorité des circonscriptions du centre-Nord de l'Angleterre, ainsi que du centre et du nord de Londres. Quand on pense à cette enquête selon laquelle 49% des Britanniques étaient prêts à voter LibDem pour peu qu'ils aient une chance de l'emporter... ça fait une différence.

Les Tories ont très peu de circonscriptions à moins 10%, et elles sont parfois communes à celles où les LibDems sont très faibles : en particulier des circonscriptions écossaises, qui se jouent entre Labour et SNP.

C'est donc apparemment entre Lib et Lab qu'il y a eu un phénomène de vote utile, un peu comme les mouvements d'opinion "de Ségolène Royal à François Bayrou puis inversement" de janvier à avril 2007.

Et cela explique certainement pourquoi les LibDems ne pouvaient obtenir de majorité relative qu'autour de 37% des voix - ce qui était demander beaucoup d'adhésion, pour un parti qui oscille entre 14-15% aux élections européennes, et 24-27% aux scrutins locaux.


Mais cela n'explique pas tout. Par exemple, dans le pays de Galles, ce sont des matches à au moins 3 par circonscription, avec souvent le Plaid Cymru + 2 partis nationaux, et il est bien difficile de voter tactique.

Justement, sur la campagne galloise, lire le témoignage d'un étudiant militant qui n'en est pas, et qui a le sentiment que le message n'accroche pas. Et les réactions de politiques expérimentés :

"Lord Carlile argued that Mr Clegg should not have been surprised that both the Conservative and Labour leaders attacked him on immigration – accusing the party of offering an “amnesty” for illegal entrants to the UK. He said he believed the disappointing election result revealed areas of policy weakness and demonstrated the need for greater control over party policy by politicians.“

Selon Lord Carlile, M. Clegg n'aurait pas du s'étonner d'être attaqué sur l'immigration, à la fois par les leaders conservateurs et travaillistes, selon lesquels les LibDems offraient une "amnistie" aux immigrants illégaux. Toujours selon lui, la déception électorale révèle des faiblesses dans le programme politique, et montre que les propositions du parti devraient être sous un contrôle plus étroit des politiques (élus).


L'immigration, c'est l'explication toute simple du résultat, selon Rafael Behr dans le Guardian : quand le débat est venu sur l'immigration, l'électorat n'était tout simplement pas d'accord avec Nick Clegg.

Et pour le coup, cela ressemble beaucoup à notre histoire.

Six semaines avant la présidentielle, la moyenne des sondages situait François Bayrou à 22,4% des voix. Il venait de gagner 8% en trois semaines, entre mi-février et début mars, principalement aux dépens de Nicolas Sarkozy (-5%)[1].

Rien qu'entre le 28 février et le 8 mars, le "swing" pour reprendre le terme anglais était de 5% (+3,5 pour François Bayrou, -1,6 pour Nicolas Sarkozy).

Nicolas Sarkozy sait certainement prolonger une courbe, surtout quand elle est droite : à ce rythme-là, sa position de leader n'en avait que pour 9 jours.

Le 8 mars, en ouverture de "À vous de juger", Arlette Chabot pose à Nicolas Sarkozy la même question qu'à chacun des candidats qu'elle recevait : quelles seront vos toutes premières décisions en cas d'élection ?

Nicolas Sarkozy répond : la création d'un "ministère de l'immigration et de l'identité nationale".

Sa dégringolade dans les sondages a été stoppée net.

Le jour de l'élection, il a même obtenu 3 points de mieux que la moyenne des prévisions, tandis que Jean-Marie Le Pen obtenait 3 points de moins.


Voilà, vous avez lu mon billet. Et puis je n'ai pas pu m'empêcher de le ressasser. Voilà la suite.

J'ai déjà dû revenir cent fois sur ce 8 mars. À force de le revivre, je finis par le reconstituer, sans doute. C'est l'un de mes trois ou quatre gros souvenirs de campagne - le seul chez moi devant ma télé.

J'entends le candidat Sarkozy, c'est le tout début d'émission, je suis froid, et je prends ce direct dans le bide. Je me dis : on ne va pas s'en relever. Je ne crois pas avoir écouté l'émission beaucoup plus longtemps.

Que répondre au coup du Ministère ?

On peut toujours dire que l'identité, ça ne se construit pas dans les couloirs des Ministères ? Mais ça ne répondra pas à ce que les électeurs auront entendu, c'est moi qui suis contre l'immigration, la preuve, tous les bien-pensants vont me hurler dessus. Le seul qui vous défend, c'est moi. Ça ne parlera pas de ce que les électeurs auront vu : sur la brèche de la forteresse France, face aux hordes sauvages, le héros solitaire.

Incarner le héros solitaire sans rien de concret derrière (car l'identité, ça ne se construit pas dans les couloirs des Ministères), c'était le hold-up parfait.

C'est ces jours-là qu'un conseiller servirait à quelque chose. On le paye pour ça, en principe. Pour ces moments-là.

J'imagine le candidat François Bayrou. Les coups de fil qui se succèdent, les voix à la fois perchées et compassées : C'est lamentable ce que Nicolas Sarkozy dit là ! On est de tout coeur avec vous, vous savez ! Tenez bon ! (et sûrement, pas un de ceux-là n'appellera à voter Bayrou. Ils ont un emploi, une famille, une réputation).

J'imagine le candidat François Bayrou qui leur répond vaguement "oui oui, merci, c'est bien", qui répond imprécis parce qu'il a du mal à les entendre, il y a une sirène qui hurle sous son crâne, une sirène d'alarme … p***** qu'est-ce qu'on fait, là ? elle est où, la sortie ? Elles sont où, les munitions ? Gimme options!

J'imagine et je ne fais qu'imaginer, parce que je n'étais pas là, je n'ai rien trouvé, ou rien qui fasse le poids.

Le lendemain matin, François Bayrou était à la radio et répondait : "Enfermer dans la même phrase immigration et identité nationale,… il y a là une frontière franchie". Le soir, il se repliait derrière la frontière : "L'identité nationale, elle a un nom et c'est la République". C'était profondément vrai[2].

Maintenant, c'est à la porte de la République que frappent les huissiers.

Le dépensier en chef Nicolas Sarkozy appellerait François Bayrou, c'est logique, à changer sa ligne politique. Le déficitaire Jean-Pierre Raffarin appelle carrément François Bayrou à rejoindre la majorité présidentielle. Logique : après la faillite, petit sujet, il faut des "voix du Centre" pour gagner 2012.

Bah - les voix du Centre, Nicolas Sarkoy a parfaitement su s'en passer hier, il saura aussi demain. Il y aura bien plus de voix à gagner dans la provoc que dans la crédibilité. Il y aura certainement un autre Ministère à créer sur un autre plateau de télé.


J'ai été un peu long, excusez-moi. J'aurais sûrement du faire un billet "fête de l'Europe". J'ai au moins parlé d'outre-Manche.

En fait, je devais travailler, ce soir. Je devais essayer de gagner quelque sou, je devais me concentrer sur ce qu'il y a à faire, sur là où je peux aider les gens, je devais laisser le passé se régler tout seul, et le chaos élyséen absorber ce qui l'entoure. M'en tenir loin.

"Mais chaque fois que j’ouvre mon journal, je pense à cette traversée
On avait de la flotte jusqu’aux genoux …
Y en avait jusqu’à la ceinture …"

Notes

[1] Et pour le reste, aux dépens des autres candidats que les 4 en tête. Les intentions pour Ségolène Royal étaient stables

[2] Quelque journal sérieux se rendait alors compte de l'existence et des propositions de François Bayrou, mais il était trop tard. Le même journal allait d'ailleurs appeler à voter contre le candidat démocrate, à "éliminer au premier tour", à assurer ainsi l'élection de Nicolas Sarkozy, par impératif démocratique. Comment va-t-il, à propos, M. Colombani, 3 ans après ? Toujours content de lui ?