J'espérais que, devant les massacres de la Gouta, le gouvernement Poutine, et avec lui le régime chinois, accepteraient que les Nations Unies agissent de façon appropriée. En commençant par demander l'ouverture d'une instruction par le Tribunal Pénal International, pour crime contre l'humanité.

C'était un espoir ténu, mais je n'étais pas le seul à le partager : le gouvernement allemand a été, lui aussi, écoeuré par le soutien cyniquement réaffirmé de Vladimir Poutine au régime al-Assad.

« Il est très regrettable que la Russie et la Chine refusent depuis un certain temps une position commune sur le conflit syrien. Cela affaiblit considérablement le rôle des Nations unies actuellement » (…) L’usage d’armes chimiques en Syrie a « brisé un tabou » qui « ne pouvait rester sans conséquence » — Angela Merkel, chancelière

« Celui qui après l’usage de telles armes (chimiques) détourne les yeux (...) encourage leur usage. C’est pour cela que nous appelons la Russie à ce qu’elle lance avec la communauté internationale un signal clair » — Guido Westerwelle, ministre des Affaires Étrangères

Je me désole que (bêtise insondable d'un bipartisme apparemment ancré dans l'esprit humain) beaucoup de ceux qui s'inquiètent, à juste titre, d'éventuelles opérations de guerre françaises (ou franco-américaines, ou autres) en Syrie, en viennent à un discours confusionniste et complotiste, selon lequel, finalement, il vaudrait mieux soutenir les plus grands criminels comme dictateurs, plutôt que de voir arriver au pouvoir des musulmans plus intégristes que les criminels précités.

Ce serait bien de remettre les choses dans l'ordre. La paix et la vie, ou au moins, le droit humanitaire et la protection due aux civils, d'abord !

Illustration avec ce dialogue que je colle de Facebook ; l'interlocuteur est un ancien MoDem, de la même génération que moi. La discussion s'étale du 3 septembre à aujourd'hui.

"L'hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu" : tant que les dirigeants se sentent obligés de bidouiller la réalité pour justifier une intervention, c'est que nous ne sommes pas complètement dans la loi du plus fort, ni dans le règne de l'arbitraire. Pas complètement.

— Tu as lu la note de la DGSE ? Ce n'est pas une preuve définitive, mais c'est tout de même beaucoup plus d'éléments qu'on n'en a eus dans les jours qui suivaient beaucoup de tragédies (11 septembre, DC10 UTA, génocide rwandais, etc. etc.). Faire preuve d'esprit critique, ok, se mettre la tête dans le sable face aux crimes contre l'humanité… non.

Frédéric, rappelle-moi les pays ou les gouvernements qui ont, ne serait-ce qu'évoqué l'idée d'une intervention "punitive" après les massacres de la place Tien-an-Men ou ceux perpétrés au Tibet ?

— Tu peux remonter aux massacres des guerres antiques. Le "devoir de protéger les civils" a été établi par les Nations Unies en 2006.

Ah oui, bien sûr... Où avais-je la tête ! Protéger les civils, un devoir... Oui, oui, oui... Comme en Israël face au Hamas, ou en Palestine face à l'armée israélienne, ou en Tchétchénie..

— Tu peux prétendre que le droit international n'existe pas, ne progresse pas, que le monde est livré à la loi de la jungle ; ou tu peux être de ceux qui veulent le faire progresser et appliquer. C'est un choix.

C'est bizarre, ta remarque. Qu'est-ce que tu veux dire ? Qu'intervenir en Syrie en utilisant un prétexte qui pourrait être invoqué ailleurs et qu'on n'y invoque pas, c'est faire progresser le droit international ? Et si c'était au contraire démontrer que le prétendu droit international n'est qu'un cache-sexe piteux pour des intérêts et des rapports de force ? Tu peux t'offusquer de cette hypocrisie, ou au contraire y croire - ou faire semblant d'y croire. C'est un choix...

— Eh bien, je veux dire que le droit international, comme le droit tout court, n'est qu'imparfaitement respecté dans la vraie vie par les vraies gens. Et que, comme le droit tout court, il mérite que chaque personne ayant du pouvoir, du chef d'Etat au simple citoyen, agisse pour le faire respecter, jour après jour, danger après danger. Bref, les échecs d'hier ne justifient en rien le renoncement d'aujourd'hui. Sauf à préférer, comme tu sembles le faire, la loi de la jungle, le libre jeu des rapports de force, des massacreurs libres de civils libres.

Ta remarque est sotte, lorsque tu m'accuses de "préférer la loi de la jungle". Mais comme tu le sais très bien, je te pardonne volontiers. Cela dit, je prétends que lorsqu'on dote un article de loi d'une géométrie variable en fonction de la situation à laquelle on l'applique, cela nuit à l'article en question bien plus que ça ne le sert. Car cela démontre à tous ceux qui regardent que cet article de loi n'est qu'un simulacre.

— Je me doute bien que tu ne préfères pas la loi de la jungle, mais c'est pourtant ce à quoi conduit ton raisonnement. Car l'application de la loi est hélas, toujours "à géométrie variable" au sens de parcellaire et souvent trop tardive. Si tu rejettes la loi pour cette raison, tu obtiens la jungle.

Pas d'accord. Une loi partiale et mal appliquée etst pire que pas de loi du tout, car cette mauvaise application déconsidère l'idée même de loi. Qui peut croire à une loi qui défend le loup contre l'agneau,le renard contre le poulailler, ou qui s'applique avec la dernière férocité contre le baudet tout en laissant impunis les grands de la Cour ?

— Comparer les auteurs du massacre chimique de la Gouta au baudet mangeur d'herbe de La Fontaine, c'est une interprétation inattendue. Et, à mon avis, peu éclairante.

Cela, c'est ton problème, pas le mien. Moi, je parlais du principe, de la valeur de la loi et du "message" que passe la façon dont on l'applique. Par ailleurs, on n'est toujours pas très au clair sur l'identité des auteurs du massacre en question.

— Mais on pourrait être d'accord sur l'importance que le droit international s'applique à leur égard. Après, il y a des procédures, comme une instruction (par le TPI), etc.

Si ce n'est qu'en l'occurrence, et comme je croyais l'avoir exprimé, le "droit international" me fait plutôt l'effet d'une bien opportune mascarade.

— Quelle alternative proposes-tu ?

Aucune. On les laisse se démerder.

— Y compris les moins de 2 ans ?

Tu joues sur l'affectif. A moi de te demander pourquoi tu n'as pas réclamé et pourquoi tu ne réclames pas une intervention militaire de notre pays à chaque massacre, où qu'il se produise. Sans oublier, encore une fois, qu'on n'est pas absolument certain que le massacre en question ait été perpétré par le régime. Et pour finir, puisque tu veux la jouer "affectif", es-tu vraiment sûr de vouloir que notre pays contribue à installerau pouvoir des gens qui finiront par interdire à des fillettes d'aller en classe parce que ce sont des filles, qui les obligeront à porter le voile, qui les marieront de force à l'âge de huit ou neuf ans et qui les tueront à coups de cailloux si jamais elles tentent de se révolter ? Et tiens, Fred, puisque tu te soucies du sort des enfants de moins de deux ans, voilà des nouvelles des gens que tu proposes de soutenir militairement[1].

— Et selon toi, on les laisse se démerder ?

Et selon toi, on envoie des soldats pour les aider à prendre le pouvoir ?

— Certainement pas. Personne n'a d'ailleurs proposé, à ce jour, d'envoyer des soldats aider les bébés gazés à prendre le pouvoir…
Le devoir de protéger les civils est évidemment le devoir de chercher et mettre en oeuvre le moyen le plus efficace d'y parvenir.
Pour cela, il y a deux attitudes à éviter : faire le matamore et faire l'autruche. Tu n'es manifestement pas dans le premier cas. Ni dans le second, puisque ta doctrine sur les crimes contre l'humanité est claire, "on les laisse (les victimes) se démerder".
Je dois ajouter une réponse pour ne pas… feindre d'approuver l'argument sur (les leaders islamistes opposés à Assad) "finiront par interdire à des fillettes d'aller en classe parce que ce sont des filles, qui les obligeront à porter le voile, qui les marieront de force à l'âge de huit ou neuf ans et qui les tueront à coups de cailloux si jamais elles tentent de se révolter". Figure-toi que ces malheurs ne risquent absolument pas d'arriver aux enfants qui auront été gazés ou autrement massacrés dans la guerre civile. Protéger le droit à la vie est, dans l'ordre, la première des priorités.

Je vois. Si vraiment l'objectif est de protéger les civils pendant que rebelles et armée régulière se foutent sur la gueule, c'est exactement pour ça que l'ONU a été créée. Le savais-tu ? Et en ce qui concerne les fillettes mortes - puisque ce sujet semble inspirer ton humour - il ne leur arrivera absolument plus rien, hélas. Est-ce une raison pour condamner leurs soeurs toujours vivante à la tyrannie obscurantiste des fascistes barbus ? Je note d'ailleurs que tu ne m'as pas répondu sur les exactions commises par ceux-là mêmes que tu proposes de soutenir[2] ?

— Je te vois soudainement converti à la valeur du droit international et à l'importance de condamner, poursuivre, faire cesser les crimes contre l'humanité. Je n'aurai pas perdu mon temps ! J'espère que la discussion pourra servir à d'autres.

(J'arrête sur cette réponse, mais mon interlocuteur va certainement y répondre à son tour. Les conversations sur Facebook débouchent rarement sur une conclusion acceptée par les deux interlocuteurs).

Notes

[1] NB : c'est inexact, je n'ai jamais proposé cela. Par ailleurs, je poste le lien car la réponse serait incompréhensible sinon, je n'approuve pas pour autant ce qui se trouve sur cette page.

[2] Là encore, comment peut-on confondre défendre l'humanité, et soutenir des terroristes ? Cela m'échappe. Et pourtant mon interlocuteur est diplômé des meilleures écoles, etc.