Bravo à Jacqueline Gourault, qui était loin d'être favorite, et a conservé au premier tour son mandat de sénatrice.
Je me réjouis également de voir Jean-Marie Vanlerenberghe rester au Sénat, et Jean-Jacques Lasserre remplacer Didier Borotra.
Mais ces résultats restent une soupe à la grimace. Notre jeune pilier Marcel Deneux, très présent à l'Université de rentrée le week-end dernier, va se sentir un peu seul. Les excellentes Roselle Cros (Yvelines) ou Anne-Marie Payet (Réunion) ne sont pas réélues ; Jean-Jacques Jégou et Denis Badré sont sortis par, entre autres, des centristes-de-droite, dans le Val-de-Marne et les Hauts-de-Seine ; et dans le Morbihan, non seulement Jo Kerguéris ne repasse pas, mais celui pour qui il s'est désisté entre les deux tours, le maire de Vannes François Goulard, est battu également.
Dans le Val d'Oise, j'hésite entre me réjouir de la réélection de notre ancien député d'Argenteuil-Bezons, "l'unitaire-progressiste" Robert Hue, me réjouir de voir la liste Portelli arriver en tête de la droite… ou regretter le nouvel échec de l'ancien président départemental de l'UDF Philippe Sueur ? En fait, je n'ai pas réussi à m'intéresser à ces sénatoriales : la vraie tristesse est que le Mouvement démocrate soit aujourd'hui trop faible, dans le département, pour qu'une candidature ait été viable.
Ce matin sur BFM-TV, un éditorialiste sonnait la charge : que le Sénat passe à gauche "pour la première fois de la 5ème République"[1], et que ça ne change rien, prouve qu'il faut supprimer le Sénat ! et pendant qu'on y est, que son mode d'élection par des "grands électeurs" désignés par copinage, est absurde !
Face au risque d'une sorte de cohabitation, un autre éditorialiste (ou le même, je ne sais plus) nous rassurait : "en démocratie", expliquait-il, c'est la Chambre Basse (Assemblée) qui a le dernier mot, la Chambre Haute (Sénat) n'a pas de pouvoir réel.
Cette chaîne de télévision n'est pas réputée de tendance Robespierre… ces analyses traduisent pourtant un jacobinisme qui m'a stupéfié.
Donc, une Assemblée ne servirait qu'à faire basculer de droite à gauche ou de gauche à droite — le reste, débats, amendements, pluralisme, évaluation, programmation, Constitution, serait pacotille ?...
Donc, le mode de scrutin, d'accession au pouvoir, serait chose si précieuse qu'il vaudrait la peine d'en choisir un meilleur, même pour une Assemblée qu'on supprimerait ?…
Donc, les Etats fédéraux comme les Etats-Unis, où le Sénat, représentant les territoires, a la prééminence sur la Chambre des représentants, ne seraient pas des démocraties ?…
La seule démocratie digne de ce nom, ce serait l'Etat unitaire centralisé dirigé, sans débat qui vaille, par le chef d'un unique parti ?
Comme je l'expliquais tout récemment ici, ce n'est pas ma conception de la politique.
Je me réjouis que la France soit un Etat unitaire (et non fédéral) et que l'Assemblée Nationale y ait donc la prééminence[2]. Mais la majorité d'un parti ou d'un Président n'est pas la seule source de légitimité. Les communes, en premier lieu, et les autres formes de territoire, doivent aussi être entendus dans l'élaboration des lois, dans le contrôle de l'exécutif national, dans l'évolution de la Constitution. C'est à cela que devrait servir le Sénat.
Pour cela il devrait être composé de représentants directs des communes, mandatés par celles-ci, renouvelés après chaque élection municipale (et de représentants des autres collectivités, désignés de la même façon). Le mandat de Sénateur devrait donc être confié à des élus locaux ; mais, pour être exercé pleinement, il devrait être incompatible avec celui de président d'un exécutif local (grande ville, intercommunalité, région…) : un Président doit pouvoir trouver un adjoint pour le représenter à Paris !
Si une Assemblée a un rôle dans la démocratie, son mode de désignation est important.
Une telle évolution n'arrangerait guère les affaires du MoDem ? Je l'ignore. Mais un changement qui va dans le sens de la démocratie ne peut que convenir aux démocrates !
Notes
[1] Ce qui est tout à fait faux, merci Laurent.
[2] Tout comme je me réjouis que l'Europe ne soit pas unitaire, et qu'en toute logique démocratique, ce soient les Etats nationaux qui aient la prééminence : leur représentation (Conseil Européen, équivalent du Sénat) l'emporte sur l'Assemblée directement élue par les citoyens (Parlement Européen).
Il me semble que beaucoup de lois adoptées par l'Assemblée Nationale ont - au moins depuis 2007 - été amendées par le Sénat. Ce qui prouve au moins l'utilité des Sénateurs, le Sénat étant peut-être moins une "caisse à enregistrer" que l'Assemblée Nationale.
De ce fait, un basculement à gauche du Sénat est pour le moins intéressant, mais aussi peut-être inintéressant... On était habitué à ce que tout projet de loi passe systématiquement à l'Assemblée Nationale (une assemblée de godillots aux ordres), mais modéré parfois par le Sénat, même lorsque la majorité était de droite.
Alors peu importe que la majorité sénatoriale passe à gauche, s'il n'y a pas blocage systématique - ce qui serait du domaine du ridicule -, le Sénat continuera à faire entendre sa voix qui lui est propre, quel qu'en soit le président.
Navré pour Denis Badré et pour Anne-Marie Payet, que j'ai eu tous deux l'occasion de rencontrer...
A mon sens, quand les grands électeurs sont majoritairement d'une tendance cela doit se retrouver dans leur choix électoral, même si les circonscriptions sont redécoupées ...
De plus, il faut connaitre l'état d'âme de ces "grands électeurs" : leurs territoires connaissent le redécoupage des implantations des tribunaux, de la gendarmerie, des hôpitaux, la fermeture des écoles etc ... Ah, j'oubliais, la réforme territoriale ...
Indépendamment de la pertinence de ces choix, cela fait beaucoup comme modifications pour des cantons ... le citoyen râle, son conseiller aussi ...