France Soir : Une étude menée pendant un an, notamment à Montfermeil, en Seine-Saint-Denis, révèle que les préceptes de l’islam remplacent de plus en plus les valeurs républicaines dans nos banlieues. Le maire de Montfermeil, Xavier Lemoine (UMP), réagit à ce constat en lançant un cri d’alarme : "La République court à la catastrophe !"

L’islam s’est implanté dans nos quartiers. On en prend enfin conscience. (… Mais…) on a laissé ces communautés s’organiser entre elles. Sous prétexte de respecter leurs cultures, on n’a pas exigé le respect de notre culture. On a été pris en otages. Ce que je dis, ce n’est ni du racisme ni de la discrimination. C’est du bon sens. Il faut défendre les valeurs qui ont fait la France.

Vouloir l'intégration, lutter contre la constitution de ghettos communautaires, exiger de nouveaux installés la connaissance de notre culture et de notre histoire, cela me semble juste.

Une condition du succès est le respect de la vie privée et de la religion ! Le fait que "l'islam s'implante" ou que les enfants aillent le mercredi à l'école coranique, me semble du même niveau que "le catholicisme s'implante" ou que les enfants aillent au catéchisme ; le fait que des parents parlent arabe ou soninké à la maison me semble à comparer avec le fait que d'autres parlent corse, créole ou breton. Les prières à la mosquée sont en arabe, mais elles étaient en latin dans nos églises il y a encore 50 ans, et ça ne mettait pas la République en danger.

Le maire de Montfermeil, membre du Parti Démocrate-Chrétien et confortablement élu, affiche des valeurs catholiques au nom desquelles il s’est prononcé plusieurs fois contre la dimension conquérante de l’islam du jihad – et a décrit en termes de combat de cultures des émeutes advenues sur sa commune et des agressions le visant directement. Il n’en a pas moins, trois mois plus tard, signé la promesse de vente du terrain destiné à la Grande Mosquée – afin que les musulmans disposent d’un lieu de culte digne et adapté. (Extrait du résumé de l'étude de l'Institut Montaigne).

Et les familles d'origine étrangère, pour ce que j'en vois, s'intègrent beaucoup plus, et beaucoup plus vite, à la société "française classique" que ne le faisaient les Polonais des mines ou les Portugais/Espagnols du bassin parisien il y a 40 ou 50 ans[1].

Qu'est-ce qui pourrait, pourtant, faire obstacle à la diffusion de la culture française, laïque et républicaine ? Malgré la télé, malgré la volonté de réussir en France, que partagent tous les ados ?

Je pense que c'est, comme le dit le Maire de Montfermeil, l'existence de "ghettos" ou cités de relégation, ethniquement et/ou religieusement homogènes, loin des emplois et déshéritées en termes d'éducation. Ce sont l'emploi et l'éducation qui font bouger les gens, qui brassent ; ce sont aussi l'entreprise et l'école qui font, concrètement, l'ordre social - le patron, le syndicat, le prof, le surgé[2].

Quand tout cela manque, l'ordre social se résume à des compromis mouvants entre communauté délinquante et communauté religieuse, un peu comme l'illustrait le film "Le prophète". La police qui est envoyée dans de tels quartiers (la BAC), ethniquement homogène et étrangère à la région, se comporte avec un a priori d'hostilité et cristallise sur elle le rejet de l'organisation sociale républicaine.

Il n'y a pas beaucoup de quartiers dans cette situation en France, mais il y en a, et le "plateau" de Clichy-Montfermeil en est l'exemple le plus connu. On parle aussi de quartiers du Tremblay-en-France et d'Aulnay-sous-Bois (qui a pourtant accès aux emplois de Roissy et de Paris par le RER), mais je n'y suis pas allé récemment. Dans le Val d'Oise, nous avons deux ou trois quartiers qui ont évolué de cette façon, notamment à Villiers-le-Bel ou, je crois, Gonesse (quartier pavillonnaire des Carreaux), là aussi mes informations datent un peu.

Le Val d'Argent Nord, à Argenteuil, ne prend heureusement pas cette direction, mais l'ordre "républicain" n'y tient que par compromis avec des réseaux plus mafieux ou "associatifs", comme les "Bleu-Blanc-Rouge" jadis subventionnés par M. Sarkozy. Cela fait penser à la politique des liasses de billets de M. Dassault à Corbeil (ou à la gestion de nombreuses banlieues de l'après-guerre, en France comme aux Etats-Unis) : on entretient le calme, mais en acceptant des compromis douteux.

Qui, à mon avis, ne donnent guère plus de chances aux gens d'avancer dans la vie et dans la société française.

Quant aux réseaux associatifs, ou caritatifs, nés de l'après-guerre, ils survivent, se renouvellent parfois (Restos du coeur), mais beaucoup s'étiolent ou vieillissent. Ils me semblent peu en prise sur la misère ou les attentes des jeunes générations.

J'étais tout récemment à une conférence de deux hauts responsables de structures publiques destinées aux jeunes "des quartiers" (type écoles de la 2ème chance) : tous deux estimaient le degré de tension sociale, de désespoir, et le risque d'explosion violente, bien plus graves qu'en 2005. Tous deux définissaient comme priorité quasi-unique "l'emploi, l'emploi et l'emploi". Alors que l'évolution de l'économie (et la crise par-dessus), et celle de l'urbanisme, réduisent le nombre d'emplois moins qualifiés et les éloignent des banlieues, pour les envoyer à la campagne et sur les côtes atlantiques.

Et cela dans le silence ou l'ignorance totale des médias, des décideurs économiques et politiques… dont pas un ne vient des quartiers concernés ou ne le fréquente, évidemment. Ils n'y vont que si ça flambe. Chez nous, des travaux qui mettraient un an ailleurs peuvent en prendre cinq, pour une raison tout simple : personne ne proteste. En tout cas, personne qui pourrait être entendu en haut lieu. Les gens - parents comme jeunes - ont le sentiment justifié d'être considérés comme la 5ème roue du "carrosse républicain", et ils s'y habituent, il faut bien. Vendredi soir, en réunion de quartier, le Maire nous dit que la rénovation de notre très moche marché lui a été demandée par de nouveaux habitants : ce sont eux qui sont capables de s'indigner[3] !

Comme le dit le maire de Montfermeil, "on" (les institutions, la République, la commune, l'école…) pourrait exiger beaucoup plus des familles. Mais cela ne sera socialement accepté que si "on" propose des emplois, une école avec des professeurs présents et la discipline, des trains qui fonctionnent… À défaut, les institutions choisissent la stratégie qui leur semble éviter, à court terme, l'explosion : fermer les yeux sur les réseaux en place, arroser certains, et rénover ou casser les bâtiments bien sûr[4]. Mais l'homme ne vit pas que de béton ;-)

Le coeur du problème de Clichy-Montfermeil est l’emploi – comme pour l’ensemble de la société française, mais l’agglomération en représente un cas d’espèce, exacerbé par l’enclavement, la difficulté des transports qui éloigne les lieux de travail, et le décalage entre les compétences que requièrent certaines zones actives et prospères, qui se déploient en Seine-Saint-Denis sur les friches de la désindustrialisation, et le capital éducatif et culturel inadapté d’une grande partie de la jeunesse qui n’y est pas « employable ». (Extrait du résumé du rapport de l'Institut Montaigne).

Aussi je crains beaucoup une épidémie de violence, sans doute surtout symbolique et matérielle comme en 2005 ; une violence qui souderait contre elle la majorité de la société française, en particulier, comme en 2005, les gens qui vivent à la campagne : il n'y aurait plus, alors, d'espace pour trouver des solutions, ni à la dérive de cités-ghettos, ni à la crise économique nationale ; le débat politique se limiterait à un "garde-à-vous" en rang serré derrière les défenseurs de l'identité nationale. Ceux qui y perdraient le plus, en-dehors des gens et partis raisonnables, seraient les Maires et autres acteurs des villes concernées…

Une alternative ? Que, par un coup de chance, ça ne pète ni cet hiver ni ce printemps ; qu'arrive en mai un gouvernement sensé, attentif aussi aux quartiers non représentés dans les réseaux de pouvoir ; qu'il remette en état de marche la société et l'économie françaises, et réoriente leur développement pour qu'il soit plus partagé, plus durable, plus "intégrateur". Ce qui me semble tout à fait possible ;-)

Notes

[1] À ce que j'imagine, et ayant lu récemment "L'histoire de la vie privée."

[2] Je suis vieux. Maintenant, on dit CPE.

[3] Bien sûr, le MoDem n'avait pas attendu pour mettre le marché à son programme. Mais nous ne sommes pas aux responsabilités.

[4] 600 millions de rénovation urbaine à Clichy-Montfermeil, rappelle l'étude de l'Institut Montaigne.