Le président de la République, les partis de gauche, les syndicats, nous jouent en choeur une grande symphonie du "bon accord qui ne doit pas être imposé mais naître de la concertation". Après les élections. Car ceux qui signeraient le bon accord savent qu'ils seront impopulaires.

Car tout le monde en est persuadé : quand la durée de vie progresse chaque année, le bon accord imposera que l'on cotise plus longtemps chaque année (retarder l'âge de la retraite), ou que l'on cotise plus, ou que les pensions de retraite baissent. Ou les trois à la fois. Et c'est impopulaire.

Pourquoi le bon sens, la règle de 3, l'honnêteté élémentaire, sont-elles aussi impopulaires ?

Pour d'excellentes raisons.

La réforme qui se dessine ne sera ni durable, ni juste, ni raisonnable.


Elle ne sera pas durable si elle se réduit, comme nous l'annoncent les gazettes, à ce genre de bricolage : un peu plus de trimestres, un peu plus de cotisations, mais en laissant le système dans son état d'archaïsme avec ses "trimestres" (et quand on est précaire ?), ses "meilleures années" (sans tenir compte de ce qu'on a fait le reste du temps), ses multiples caisses soi-disant autonomes, contraintes à la "solidarité" entre elles, donc promptes à brûler l'essence dans la cour de la caserne pour échapper à cette "solidarité"…

La diversité des carrières professionnelles, les changements de statut au cours de la vie, la fluidité entre privé et public, imposent un régime de retraite unifié, où toutes nos cotisations au long de la vie soient prises en compte. C'est un régime "par points", c'est le principe que défendent depuis longtemps François Bayrou, l'UDF puis MoDem, la CFDT.


Elle ne sera pas juste si elle impose la même durée à tout le monde, alors que certains métiers pénibles imposent de partir à la retraite tôt.

Les acteurs se renvoient les uns aux autres ce mot "pénibilité", puisque personne ne sait comment traiter, à l'échelle globale du marché du travail, la notion de carrière "plus ou moins pénible". Il y a tellement de critères possibles qu'il n'y a pas de règle absolue, Cf. le rapport Struillou de 2003 (PDF). Planifier la réalisation centralisée d'une telle tâche - classifier la pénibilité de tous les métiers, selon l'espérance de vie - est une bonne façon de le rendre irréalisable à court terme, Cf. interview de M. Darcos mi-janvier.

Pourtant, ce serait assez simple à régler dans le cadre d'une retraite par points : il suffirait que les cotisations retraites de métiers pénibles soient proportionnelles[1]. Si une année de chantier BTP doit compter comme un an et demi de travail pour la retraite, il faut et il suffit que l'entreprise verse une cotisation retraite majorée de moitié. Cela revient concrètement à renvoyer aux négociations de branches et d'entreprise la charge de définir ce qui est pénible et à quel point. La cotisation proportionnelle est l'élément régulateur du système. Sans elle, les syndicats réagissent purement comme gestionnaires (d'organismes de retraite) qui se tournent vers l'Etat (pour renflouer les caisses à chaque fois qu'on déclare un métier pénible).


La réforme des retraites ne sera pas raisonnable si l'économie de demain ne propose pas d'emploi aux plus de 50 ans.

Remplacer la retraite par la préretraite ne règle rien.

Comme les plus de 50 ans sont généralement des personnes qui ont "déjà" un emploi, cela signifie : comment lutter contre les licenciements (ou les ruptures conventionnelles) ? Comment encourager les employeurs à valoriser les capacités de leurs travailleurs expérimentés ?

Ce n'est pas ma spécialité. Je dirai tout au plus qu'il y avait d'excellentes propositions dans le programme de F. Bayrou en 2007. Et que cela demande une réflexion commune, non pas tant sur "l'emploi des seniors" que sur l'emploi dans son ensemble, le temps de travail, l'emploi industriel, les charges sociales.


Et il y a encore d'autres sujets - comme la légitimité (ou non) de mettre à contribution, pour financer les retraites, d'autres sources de revenu national, que le travail. Ce que les libéraux appellent "promouvoir la capitalisation" et que les communistes appellent "faire payer le capital".

Plein de sujets dont j'espère qu'ils seront traités pour passer à un système de retraites … durable, juste, et raisonnable.

Notes

[1] Ce schéma est évoqué mais écarté dans le rapport Struillou, pour des raisons qui m'échappent : "Quant à la technique de l'assurance ... elle peut constituer un mode d'internalisation ... un financement par des cotisations vieillesse paraît devoir être écarté, car il conduirait à des modulations étrangères à la gestion des régimes de retraite" (?) - et le rapporteur revient plus loin sur ces "contraintes de gestion" qui "conduiraient à écarter une modulation des taux". Etrange.