Depuis qu'on fait le procès du capitalisme libéral, on n'a pas vraiment trouvé d'alternative meilleure, sinon à toute petite échelle[1].

Et pourtant, il nous fait couler. Le capitalisme socialisé chinois rafle la mise. Le contrôle, par une caste de super-riches, des pouvoirs politiques et économiques, tandis que la main d'oeuvre est mise en sévère concurrence et exploitée, permet un réinvestissement massif de la valeur - la création d'une sorte de méga-usine pouvant prétendre au monopole mondial. Accessoirement, des réserves gigantesques de charbon assurent l'approvisionnement énergétique pour des décennies, au modeste prix du climat planétaire.

Que font nos grandes entreprises capitalistes libérales ? Elles délocalisent ou investissent hors de chez nous, sur les lieux de production moins chers, dans les nouveaux marchés. La Silicon Valley compte moins d'emplois aujourd'hui qu'il y a 50 ans. Il nous reste une rente (des sièges sociaux qui font remonter des marges vers des paradis fiscaux, des quartiers chics où des riches étrangers viennent dépenser un peu de leur fortune, des marques célèbres pour lesquelles le reste du monde est prêt à payer), mais qu'a-t-elle de durable ?

Les conditions pour refonder le capitalisme (© Jean Peyrelevade !) sont décidément nombreuses !

J'ai beaucoup insisté ici sur le besoin de responsabilité. Pas de liberté, de libéralisme, sans responsabilité. La loi doit rendre les acteurs économiques responsables des conséquences de leurs actes.

Techniquement, cela conduit à la question des marchés de risques : est-ce un marché sain, que celui sur lequel on achète / revend les risques que l'on prend sur l'avenir ? L'Hérétique aborde justement le marché des CDS (c'est-à-dire le fait d'acheter / revendre le risque de non-remboursement d'un prêt).

Dans quelles conditions un marché peut-il être efficient, c'est-à-dire en gros : utile ? Et ces conditions sont-elles remplies pour les marchés de risques ?

Il faut pour que le marché soit efficient, que ceux qui achètent et ceux qui vendent parlent de la même chose, voient le même produit.

Si seul celui qui est d'un côté de la table voit le produit, et que l'autre achète à l'aveugle, ce n'est plus un marché, ça s'appelle du bonneteau. C'est exactement ce qui se passe avec les "produits financiers structurés", par exemple les dettes contractées par beaucoup de collectivités locales françaises, dont Argenteuil, au long des années 2000.

Inversement, si un marché est parfaitement efficient, si l'information y est pure et parfaite, tout le monde partage la même vision du monde (économique), la même perspective. Tout l'incertitude (inhérente à la réalité) est masquée. Tout le monde "fait comme si" le futur était entièrement contenu dans les valeurs actuelles données par le marché aux choses (aux actions, aux futures, aux CDS). Un tel fonctionnement socio-économique est très peu robuste. Le marché tombe très facilement en panne, et elle est générale.

Le capitalisme libéral ne demande pas, pour fonctionner, un marché. Il demande DES marchéS, un pluralisme de points de vue, d'informations, de valeurs.

La mondialisation (financière, informationnelle) court-circuite les valeurs de l'économie libérale.

Pour que le libéralisme économique puisse fonctionner de façon à la fois assez efficiente et (surtout) robuste, durable, il faudrait retrouver du pluralisme, de la diversité, de la "petite échelle". Les projets de réglementation de Barack Obama ou de Nick Clegg vont dans ce sens.

Les efforts de Nicolas Sarkozy ou du Parti socialiste me semblent ignorer complètement cette nécessité - quand ils ne vont pas à l'opposé.

Notes

[1] Je mets à part les nuages d'encre de l'extrême gauche ou de quelques sectes, nourris de chiffres imaginaires et autres explications délirantes.