Je reprends et complète mon précédent billet sur les panneaux indicateurs, en y ajoutant mon commentaire chez mon camarade polytechnicien Hervé Kabla[1].

Les grandes écoles refusent qu'on leur impose un quota de 30% d'élèves boursiers. Le niveau baisserait, expliquent-elles.

  • Et une chose est sûre : le niveau moyen de leurs promotions au concours d'entrée baisserait, puisque ce quota les obligerait à abaisser la barre pour les boursiers. Elles en ont "entre 10 et 15%" actuellement, alors qu'environ 35% des étudiants sont boursiers.

Richard Descoings a pris pour son institution, Sciences Po, cet engagement de 30%, et proteste : "C'est la réaction antisociale dans toute sa franchise ! ... Les dirigeants du lobby des grandes écoles assurent que (leur) système inégalitaire est... juste. ... L'intelligence, la curiosité intellectuelle, la capacité de travail seraient donc l'apanage des "riches"..."

  • Et une chose est sûre : si 35% des étudiants sont boursiers et que moins de 15% des admis aux concours le sont, il est improbable que cet énorme écart soit causé uniquement par une différence de capacités entre pauvres et riches.

Derrière ces indignations croisées, en fait tout le monde me semble d'accord :

  1. Une grande partie de l'inégalité entre pauvres et riches se fait en amont, au primaire, au collège. Des quotas dans quelques écoles, c'est un emplâtre hypocrite sur une "jambe de bois" : l'Éducation Nationale française est l'une des plus mauvaises du monde pour les 50% d'élèves qui réussissent moins bien que l'autre moitié.
  2. Les grandes écoles devraient recruter à capacités égales, au regard du niveau atteint à l'âge des concours, 18-20 ans, or les concours existants ne recrutent pas à capacité égale, ils favorisent les enfants de la bourgeoisie. L'équité formelle d'un même concours ne suffit pas à garantir l'équité réelle, l'égalité des chances.

Un même concours pour tous, c’est équitable … s’il correspond à un même niveau pour tous. Or les procédures de recrutement conçues par un corps social comportent souvent un biais en faveur de ce même corps social.

J’ai lu récemment le programme du concours externe d’admission l’ENA (3ème voie) : il m’a donné l’impression que, dans chacune des disciplines, ce qui est recherché, plus que la maîtrise de cette discipline, c’est la capacité à en parler dans un style énarchique.

De même, chacun des concours de grandes écoles scientifiques (X, Centrale, Ulm…) a sa personnalité propre, sélectionne des gens qui ont la tête faite comme un X, un Centralien, un Normalien. Ce qui est très bien, mais n’est pas exactement le niveau “scolaire”, et pose des questions “d’équité”, au sens où les jeunes qui ont grandi le plus près, socialement, de mentalités polytechniciennes ou centraliennes, sont inévitablement favorisés.

Il y a d'autres mécanismes facteurs d'inégalité, dont l’autosélection : les étudiants boursiers n’oseraient pas passer les grands concours, ou n'en auraient même pas envie, se sentant d'un milieu social trop éloigné de celui dont proviennent la plupart des étudiants de grandes écoles.

Mais je doute que l'autosélection soit la seule raison de cette inégalité sociale entretenue par le système des grandes écoles. Et quand bien même elle l’était - cela mériterait d’être combattu plus fondamentalement que par une classe “assistée” par-ci, ou un bienveillant dispositif “d'aide aux devoirs” par là.

Techniquement, est-il possible d'ajuster le système pour le rendre plus équitable ? Oui, en raisonnant à partir du niveau de sortie. Si les boursiers doivent aujourd'hui franchir une barre plus haute que les autres à l'entrée, on peut imaginer qu'ils sont meilleurs que les autres à la sortie. Ce serait à mesurer (un taux de corrélation négative entre revenu et niveau de sortie). Et s'il y a bien une telle différence de niveau à la sortie, il faudrait améliorer progressivement les concours d'entrée, leur contenu, leur organisation, leur préparation, et la communication sur tout cela, pour supprimer cette corrélation négative.

Donc, NON aux quotas basés sur le revenu ... mais OUI pour que les grandes écoles prennent les grands moyens pour trouver et combattre les causes de l’inégalité sociale qui persiste bel et bien dans leur recrutement.

Notes

[1] Voir là-bas la réponse de Christophe Faurie, qui vient, dit-il, de ma bonne ville d'Argenteuil. Voir aussi le témoignage de notre autre camarade Denis Oulès sur son site. Ainsi que les réponses, sur le billet précédent, de Nicolas Mauduit et Françoise Boulanger.