Art Goldhammer, l'auteur du meilleur blog sur la politique française "French Politics", publiait hier ce billet au titre clair. Traduction libre, de votre serviteur.

Mes lecteurs me disent de ne pas paniquer. Les cantonales arrivent, on va bien voir ce que pèse vraiment le FN. Le PS devrait s'en tenir à son calendrier, en changer ne serait qu'une manifestation de désarroi. Une campagne de 14 mois serait trop longue. Les gens n'y prêteraient pas attention. Tout cela est raisonnable, mais… veuillez aussi considérer quelques arguments en sens opposé.

Tout d'abord, l'élection présidentielle n'est pas comme les autres élections. C'est le choix d'une personne, non d'un parti. Cette personne doit être solidement identifiée par les électeurs. La télévision et les autres médias modernes ont changé la façon dont s'établit le lien entre l'électeur et le leader. La dernière phase de la campagne n'est qu'une petite partie de la démarche. Un candidat à la Présidence doit faire partie du paysage, paraître fréquemment, commenter les sujets multiples de l'actualité quotidienne.

Un politicien qui comprend cela, c'est Copé : regardez comment il s'est rendu omniprésent, déjà en course pour 2017. On le voit plus souvent que Fillon ! Il met en place sa «marque». Elle ne séduira pas tout le monde (et certainement pas moi), mais elle lui sera très utile quand il se lancera. À mon avis, aucun candidat PS n'a une telle présence ; à l'exception de Royal, dont la «marque» a maintenant une image négative, me semble-t-il, dans la majorité du public. C'est pourquoi je pense que le PS doit choisir un candidat tôt, et commencer sa campagne rapidement.

Bien sûr, il doit faire plus que cela : il doit trouver un candidat qui ait le don de prendre place dans les conversations, dans tout le pays, jour après jour ; et il doit fournir à ce candidat la bonne combinaison de sujets et de messages qui lui donnera une place particulière dans ce débat. C'est un art. On peut être compétent en matière de gestion économique, DSK l'est, et pourtant incapable de communiquer avec le public, même sur les questions que l'on connaît bien. Je pense que DSK a du pain sur la planche dans ce domaine. Hollande est, à cet égard au moins, mieux exercé. Aubry, à mon avis, ne l'est pas.

Deuxièmement, je ne pense pas que ce soit un signal de panique, si on répond à un électorat rétif ! Je pense que l'une des choses qui frustre les citoyens les moins versés dans la politique, c'est l'impression que les élites sont coupées de leurs préoccupations de tous les jours. Il y a, à mon avis, deux grands blocs d'électeurs qui décideront de cette élection. L'un est au centre de l'échiquier politique. Il comprend les verts, les socialistes de la "troisième voie", les sociaux-libéraux, les partisans de la «bonne gestion» et de la responsabilité, la transparence fiscale, etc (pensez à ceux qui gravitent autour de Bayrou et Arthuis, MoDem et Alliance centriste), etc. Ces gens ne votent pas pour Le Pen, ils sont complètement dégoûtés de Sarkozy, et ils cherchent leur place. Ils vont voter pour leurs propres candidats au premier tour, à moins qu'on ne leur donne une raison impérieuse de voter utile[1].

Le deuxième bloc flottant vient des classes populaires, comme on dit[2]. Il se compose de personnes qui ne savent plus ce qui les met le plus en colère. Un jour, ça peut être les patrons,le lendemain les eurocrates, un autre jour connivence entre les profiteurs et les hommes politiques de diverses tendances, ou encore la nourriture halal servie dans le Quick du coin, ou la prière dans les rues, ou à une candidat voilée. Une façon de gagner les voix de ce groupe, c'est de nourrir sa colère, de renforcer son sentiment d'être victime. Les candidats à ce rôle ne manquent pas, et leur succès varie au fil du temps, selon le flot des diverses sources de la colère.

Mais peut-être que les gens en colère ne veulent pas simplement qu'on nourrisse leur colère. Peut-être que, plus profondément, ils préféreraient qu'on les tranquillise, qu'on les prenne au sérieux, qu'on leur dise que leurs plaintes ont été entendues et trouveront leurs réponses. C'est ce que Mitterrand a su faire en 1981. Le large soutien que de Gaulle avait reçu dans les classes populaires avait ensuite été érodé par les changements de l'économie mondiale, qui avaient conduit à la disparition d'une grande partie de l'industrie lourde française. Mitterrand avait su répondre aux mécontents sans condescendance. En 1995, le discours de Chirac sur la fracture sociale s'adressait aux mécontents du mitterrandisme. Sarkozy a su conserver cet électorat en 2007 en mettant l'accent sur les thèmes de la sécurité et du travail, et en jouant dans un style populiste. Mais ce soutien s'effiloche de jour en jour. Le défi pour l'opposition est de faire appel à ce bloc, sans s'aliéner les centristes.


Mon commentaire : D'accord sur presque tout (encore que le calendrier du PS ne me soucie guère), sauf sur la dernière phrase. Si les partis de gauche répondaient vraiment aux attentes des gens, d'une façon réactive et responsable, au lieu de se regarder le nombril, nous autres du centre les approuverions à 100%. Nous ne serions pas aliénés de quelque façon que ce soit !

(Beaucoup d'entre nous ont d'ailleurs essayé l'alliance ou la coopération avec la gauche non communiste, comme déjà le Centre démocrate en 1973, l'année où le jeune François Bayrou y a pris sa carte !).

Nous avons dû renoncer à cet espoir. Le coup de Jarnac de Ségolène Royal contre "Le Rassemblement" (Hue, Cohn-Bendit, Peillon, Sarnez) a prouvé ce que préférait la gauche : le "splendide isolement", en pariant qu'ils peuvent tout de même gagner seuls, malgré leur paralysie idéologique et le manque de crédibilité de leur projet.

Pour contrer le FN, pour échapper à cet effondrement des atouts et des valeurs françaises, auquel le conservatisme des deux blocs au pouvoir ouvre un boulevard, la seule alternative, à mon humble avis, c'est le succès du mouvement démocrate.

Notes

[1] En français dans le texte

[2] En français dans le texte