On nous reprochera sans doute demain, à nous autres démocrates, de ne pas crier les plus forts contre Éric Woerth et le système construit par et autour de Nicolas Sarkozy. On nous le reprochera et peut-être aura-t-on raison : nous sommes étonnés, au sens de muets d'étonnement.

Étonnés de tous ces cris d'orfraie, de toutes ces indignations vertueuses, jusque dans les rangs villepinistes !... ou mitterrandiens !...

Quelle blague.

Hier ... "Abus de pouvoir" était à n'en pas douter la signature d'une haine recuite contre Nicolas Sarkozy - preuve d'une ambition présidentielle "ignoble", pour reprendre un terme cohn-benditien, alors que la France en crise devrait se rallier unanime autour du panache blanc de son grand capitaine. Contre l'antisarkozysme primaire, clamons avec Camelia Jordana : non non non !

Aujourd'hui .... Après avoir honni le doigt, la France (médiatique, politique) découvre l'existence de la Lune. Woh ! C'est grand !

Muet d'étonnement, je ne peux que recommander de s'abonner à Médiapart, comme je viens de le faire sur le conseil de Xavier Bertrand renforcé de l'avis d'expert de Christian Estrosi. Et j'y lis ces paragraphes de haute tenue, adressés par Edwy Plenel à deux sarkozystes de rencontre qu'on avait connus mieux inspirés, M. Rocard et Mme Veil :

S'agissant des faits, dire qu'ils sont graves relève de l'euphémisme tant ils dévoilent l'ordinaire trahison de l'exigence démocratique. En théorie, nous sommes tous égaux devant la loi et la loi la plus commune est celle qui remplit les caisses de l'Etat, lui permet de fonctionner, d'administrer et de gouverner: la loi fiscale. Or ce que nous dévoilent les enregistrements clandestins réalisés par le majordome de Mme Bettencourt dans son hôtel particulier de Neuilly-sur-Seine, c'est, d'une part, les interventions de la présidence de la République auprès de la magistrature en faveur d'une des parties dans un différend judiciaire d'ordre familial et privé; d'autre part, l'organisation d'une évasion fiscale à grande échelle par le gestionnaire d'une des premières fortunes de France, laquelle n'en a pas moins été une des plus importantes bénéficiaires du bouclier fiscal.

Ces deux entorses flagrantes au principe républicain d'égalité s'accompagnent d'une intrication de relations nouées, d'intérêts croisés et de faveurs accordées entre Liliane Bettencourt et son entourage d'un côté, le parti au pouvoir et la présidence de la République de l'autre. A l'évidence, l'argent en est l'enjeu et le moteur. La fonction de trésorier national de l'UMP du ministre du Budget, devenu ministre du Travail; l'embauche après l'élection présidentielle de son épouse dans la petite équipe chargée de gérer la fortune de Mme Bettencourt; l'organisation par le même Eric Woerth d'un «Premier cercle» de riches donateurs pour le parti présidentiel, dont les réunions se sont parfois tenues dans les palais de la République; les remises de Légion d'honneur, décoration prisée s'il en est, par le même ministre à certains de ces donateurs: autant de pratiques peu compatibles avec les fonctions gouvernementales et la séparation qu'elles supposent entre intérêts publics et intérêts privés.

Ben oui. Que dire ?