J'ai appris à l'école qu'Athènes avait inventé la démocratie. J'ai eu, depuis, beaucoup d'autres occasions d'apprendre que les inventeurs sont nombreux. Mais la semaine dernière, une copie de DST de ma fille, en classe de Seconde, qui m'a scotché. C'est l'homme à la grosse tête qui parle - non, pas Einstein, Périclès. Ces mots ont 2440 ans[1]. Ils finiront bien par franchir la Seine.

Du fait que l'État, chez nous (contrairement aux cités grecques voisines), est administré dans l'intérêt de la masse et non d'une minorité, notre régime a pris le nom de démocratie.

En ce qui concerne les différends particuliers, l'égalité est assurée à tous par les lois, mais,

en ce qui concerne la participation à la vie politique, chacun obtient la considération en raison de son mérite (…) ; nul n'est gêné par la pauvreté ni par l'obscurité de sa condition sociale, s'il peut rendre des services à la cité. (…)

Nous obéissons aux magistrats qui se succèdent à la tête de la cité comme nous obéissons aux lois (…)

Nous sommes les seuls à penser qu'un homme ne se mêlant pas de politique mérite de passer, non pour un citoyen paisible, mais pour un citoyen inutile.


Il reste, quand j'écris, une heure à la Côte d'Ivoire, à son Président, ses forces armées, au président de la Commission électorale indépendante, pour choisir comment ils pourront "rendre des services à la cité".

Admirez le calme de tous les visages, la souplesse de toutes les attitudes, sur la photo Reuters de cette scène stupéfiante hier mardi soir - un membre de la CEI arrache la feuille de résultats des mains du porte-parole, qui ne pourra pas annoncer ces résultats partiels.

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Regardez un par un chaque participant. Aucun ne veut la bagarre. Même le fauteur de trouble se cache, trouve un espace de paix - pour manifester à son chef, à son camp, qu'il reste avec eux.

Cela me rappelle mon bref séjour de 2004 à Abidjan, le ballet attentif et doux des fonctionnaires des Finances qui encadraient notre mission d'évaluation. Le risque de clash est là, la catastrophe est à deux pas, alors on sourit et on évite le gouffre.

Une heure pour se souvenir que, fût-il grand stratège et grosse tête, même le chef de l'État doit dire : "nous obéissons aux lois".


P.S. 20 décembre 2010 : évidemment, si j'avais lu Jacqueline de Romilly... pour qui, témoigne F. Bayrou,, "les Grecs du Vème siècle étaient des contemporains en Humanité. Elle découvrait par eux l'idée que la liberté accomplit la nature humaine et que la démocratie comme projet politique est l'accomplissement de cet épanouissement".

Notes

[1] Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, II, 36-40. Éloge de Périclès aux Athéniens morts au combat.