(À partir d'un commentaire chez Laurent de Boissieu, qui analyse le projet économique du FN : le "réarmement face à la mondialisation", à travers "un État stratège fer de lance de la réindustrialisation" et un "mécanisme protectionniste d'"écluses douanières".)
Marine Le Pen me semble persévérer dans une stratégie "de juriste", consistant à étoffer et détailler la logique de "préférence nationale" portée depuis des décennies par son parti. Elle espère sans doute que le FN gagnera ainsi en crédibilité, et à partir de là, en capacité de rassemblement.
Elle avait déjà travaillé ainsi en 2007 pour la campagne présidentielle de son père ; cela n'avait rien donné : le programme du candidat FN avait été très peu entendu.
Les choses peuvent avoir changé depuis, en sa faveur. D'abord, parce que c'est elle la candidate, tandis que son père était très peu réceptif aux notes techniques élaborées par les groupes d'experts - ça lui semblait hors sujet, loin des attentes de son électorat.
Ensuite, parce que les deux partis au pouvoir, UMP et PS, étaient perçus en 2007 comme solides sur le plan technique techno (à la notable exception de Ségolène Royal, sur le plan économique, selon Eric Besson). L'implosion financière qui se prépare depuis 2008, et dont la réalité commence à être perçue par le grand public, décrédibilise les responsables en place depuis 30 ans, et ridiculise leurs arguments. Un peu à la façon de Fukushima qui a démasqué les bidonnages, et l'optimisme sans cause réelle et sérieuse, des pronucléaires.
Quand les tenants du pouvoir perdent toute crédibilité, cela ouvre un vaste terrain de manoeuvre à… n'importe quel n'importe-quoi érigé en système.
Auschwitz et Hiroshima avaient produit cela, comme l'expliquait Margaret Mead : un "fossé des générations" qui, enlevant sa valeur à la parole des aînés, a permis à la génération du baby-boom de créer ses propres systèmes de valeurs et de connaissances ; pour le meilleur comme pour le pire.
Le crash financier devrait être évidemment bien moins grave : on est en temps de paix. Beaucoup de valeurs "de la Libération", de la Résistance, restent d'autant plus solides qu'elles ont été ignorées, voire dénoncées, par les tenants du pouvoir actuel. Mme Le Pen essaye donc, apparemment, de prendre appui sur ce socle étatiste et républicain de 1944-48, pour mieux dénoncer ce que les pouvoirs des dernières décennies en ont fait.
Mais le nationalisme prend le contrepied des valeurs de 1944-48, qui étaient tout sauf nationalistes : démocratiques, éducatives, humanistes, internationalistes, pacifistes.
Et il est tellement inadapté, inefficace, dans le monde actuel, pour un pays comme la France dont la richesse essentielle est le rayonnement mondial, qu'on peut se demander à quel point la culture juridique fait obstacle au bon sens.
Si l'État doit être stratège (certes), ça serait bien qu'il évite de choisir la stratégie la plus perdante.
Le terrain est certes grand ouvert pour des projets politiques nouveaux. Espérons seulement que dès les prochains mois, le tri se fera entre les projets qui relèveraient la France et ceux qui l'enfonceraient.
Oui, favoriser le réarmement comme le souhaite Marine Le Pen sous prétexte de créer en même temps des emplois et parler d'"écluses douanières" sous prétexte de se protéger de la mondialisation, c'est ni plus ni moins déclarer que l'on veut préparer la guerre. La France seul pays méritant d'exister contre le reste du monde indigne de vivre ?! C'est un programme criminel. Il faut lâcher le mot.
Dans ton billet d'août 2009, Philippe Gambette et toi avez exprimé la seule solution :
"Il suffit de très peu en fait, c'est qu'à la tête des gouvernements du monde, il y ait des personnes intègres... mais là ce n'est pas gagné"
"@ philippe : cela ferait beaucoup, oui. Des personnes intègres, compétentes, indépendantes des puissances d'argent, résistantes au stress phénoménal des hautes sphères et des grandes décisions, capables de travailler ensemble et de s'entendre entre elles en intégrant différences culturelles et intérêts nationaux.
Trop demander ? Il me semble voir déjà quelques personnes de ce profil aux plus hautes responsabilités aux Etats-Unis, en Allemagne ou en Inde, par exemple.
La difficulté, c'est qu'il faut, dans le système institutionnel de chaque pays, un mouvement citoyen capable de porter à la tête des gouvernements, des personnes de ce genre. Et ça c'est rare. La ligne de plus grande pente des grandes organisations partisanes, et des élus locaux qui en constituent l'armature, c'est de porter au pouvoir des personnes ayant un tout autre profil, celui de défenseur de leurs propres intérêts contre le parti d'en face.
Comment créer en France les conditions du changement ?"