À l'heure où se distinguent les priorités pour notre pays, à l'heure où celui qui les porte est accusé, par les nationalistes, d'ouvrir grand les portes aux intérêts euro-mondialisés,… si on re[1]lisait Michelet[2] ?

Il se précipitait. En dix-huit mois, il fit l'oeuvre des siècles, cent ordonnances, dont les considérants sont autant de traités forts, lumineux, profonds. Et la plupart étaient des victoires remportées sur la contradiction, après de grands débats dans le Conseil.

Malesherbes lui-même, son collègue, étonné : « Vous vous imaginez, disait-il, avoir l’amour du bien public. Vous en avez la rage. Il faut être enragé pour forcer à la fois la main au roi, à Maurepas, à la cour et au Parlement. » Turgot répondait gravement : « Je vivrai peu… » (…)

En ce temps, (…) on semait le moins possible. La grosse affaire[3] du temps était de réveiller la culture endormie, de faire qu'on voulut travailler, labourer, semer, vivre encore. (…) On ne produisait pas. (…)

Il était plaisant de voir le banquier Necker, couché sur ses écus, injurier le propriétaire, "lion dévorant", etc. Il était trop aisé de le décourager. Le difficile était de faire tout au contraire qu'il se reprît à la propriété, à l'aimer, à la cultiver, à la faire travailler, produire. (…)

La mémorable scène entre Turgot et Louis XVI est bien connue. Le jeune Roi lui pressa les mains, lui dit qu'il entrerait dans toutes ses vues, promit qu'il aurait du courage. Tous deux furent très-émus. Turgot, en sortant, écrivit la belle lettre où il dit tout l'esprit de son ministère: "Ni surcharge d'impôt, ni banqueroute, ni emprunt ; la seule économie et la production augmentée." Il pressent les obstacles, prédit presque son sort. (…)

Turgot, en trois années, voulut faire sa révolution.

Il y avait en France un misérable prisonnier, le blé (…). Chaque pays tenait son blé captif (…).

Turgot, entrant au ministère, se mettant à table, à l'instant prépare et écrit l'admirable ordonnance de septembre (…). Donnée précisément la veille des semailles, elle disait à peu près : "Semez, vous êtes sûrs de vendre. Désormais, vous vendrez partout." (…) L'Etat était sauvé. (…)

À la seconde année, Turgot déchaînait l'industrie, qui (…) allait décupler d'énergie, de volonté, d'effort. L'ouvrier (…) languissant chez un maître, allait, devenant maître, travailler nuit et jour[4].

À la troisième année, Turgot devait fonder l'instruction. (…) Il comprend (…) que l'on doit s'élever soi-même, que l'on ne s'instruit bien que par son seul effort (…).

Donc, culture affranchie (1775), industrie affranchie (1776), raison affranchie (1777). — Voilà tout le plan de Turgot.

Let's start living our lives
Living for the future paradise

Notes

[1] Le "re" est pour vous, lecteurs lettrés. Moi qui n'ai pas lu, j'ai la chance de tomber par hasard sur ce passage.

[2] Histoire de France, tome IV de l'édition Jules Rouff & Cie, pp. 738ss.

[3] La grande nécessité.

[4] Sic