Évidemment, la première réponse est : parce que le précédent favori a été éliminé. La présidentielle est une "lessiveuse", selon l'expression consacrée : elle essore, use, désagrège, épuise, éjecte. On aimerait bien qu'elle soit gagnée par le meilleur. Elle est généralement gagnée par le dernier en course.

Alors, pourquoi François Bayrou a-t-il le plus de chances d'être le dernier en course[1] ?

D'abord, parce que son "capital confiance" est intact. Toutes les raisons qui ont suscité l'intérêt pour lui en 2006, restent valables. L'erreur de jugement démontrée par François Bayrou face à Daniel Cohn-Bendit, en 2009, est… relativisée par le comportement, irresponsable ou pire, du favori de 2011. Quant aux réels déboires du MoDem, ils sont sans grand rapport avec la course à la Présidence — l'UDF de 2006 n'était pas plus flambante. Une des grandes forces de François Bayrou : c'est l'un des rares professionnels de la politique qui ne soit pas l'homme d'un parti.

Ensuite, parce que toute présidentielle est une confrontation entre la classe au pouvoir, sortante, et les attentes du peuple. Le peuple est très majoritaire. Pour gagner, il vaut mieux être du côté du peuple : du coeur (1974), de la vie (1981), de la fracture sociale (1995), de l'identité nationale (2007). Les leaders du PS, dans la confrontation entre un puissant et une misérable, ont choisi en bloc le puissant qui est leur ami, leur champion et le réceptacle de leurs projets de carrière. Si le terme de sociaux-traîtres a eu une pertinence, c'est bien la semaine écoulée. À mon humble avis, ça ne pardonnera pas.

Certes encore, il y a une autre façon de gagner la présidentielle : il faut convaincre les Français que votre adversaire détruirait, ou ne saurait pas conserver, la République, la démocratie, les institutions (1965, 1969, 1988, 2002). Il faut leur faire peur avec la dangerosité du type en face.

Un homme qui soit du côté du peuple, que les affaires politico-financières n'aient jamais mis en cause, et dont personne ne conteste ni les compétences, ni l'attachement à la République et au bon fonctionnement des institutions,… il n'y en a pas deux parmi les "éligibles" à la Présidence de la République.

Troisièmement, et finalement, parce qu'il apporte un espoir. Le changement, le changement au plus haut niveau politique, il semble clair pour tout le monde que la France en a besoin[2]. L'opinion, les médias, les gens influents, vont chercher où pourra cristalliser et se construire une alternative. Ils ont attendu le PS, ils ont écouté Villepin, ils ont fait un tour et puis deux chez EE, ils ont spéculé sur la gauche de la gauche, ils ont souri au sérieux de Morin, puis souri au sourire de Borloo, ils ont désespéré de Ségolène et ont été impressionnés par Marine… Leur propre poussière retombée, ils verront qui continue à marcher. Change we can believe in.

Notes

[1] Déclameurs : 1) ceci est l'opinion de l'auteur ; 2) de janvier 2006 à juin 2007, l'auteur a été rémunéré comme consultant par l'UDF puis la campagne Bayrou. C'est de l'histoire ancienne, certes, mais pas si ancienne.

[2] Même si tout le monde n'est pas d'accord sur la nature de ce changement