Hier dimanche, j'ai fondu un plomb devant ma télé en voyant notre Ministre de la Défense justifier l'intervention armée par la légende des "talibans qui coupent des doigts des filles qui mettent du vernis" - ânerie démago déjà répétée à plusieurs reprises par Nicolas Sarkozy et par Hervé Morin lui-même - et en enchaînant avec le grand air du Développement et de la Construction de la Démocratie afghane. Le degré moins vingt de la réflexion stratégique.

Oui mais comme tout le monde, l'Afghanistan, je ne connais pas du tout. À défaut de connaissance, je reviens aux principes de base.

0. La guerre fait des morts des deux côtés, et l'opinion le comprend parfaitement. Elle ne reprochera pas à l'armée de laisser mourir ses soldats, elle lui reprochera de les laisser mourir pour rien, c'est-à-dire sans avoir la capacité de gagner la guerre.

François Duran écrit sur son blog de stratégie : "... Bombardement de Bouaké : sauf erreur de ma part, l’armée française est la seule ... d’Occident, qui ait subi un bombardement aérien létal de la part d’un pays africain au cours de ces dernières décennies. L’opinion publique a-t-elle hurlé au désengagement immédiat ... ? Non, et peut-être pour une bonne raison : la riposte a été immédiate et assez foudroyante puisque la totalité de la flotte aérienne « ennemie » a été détruite dans les heures qui ont suivi."

1. Le but de l'intervention - la définition de "gagner la guerre" - est de détruire al Qaïda, ou au moins de la priver de base territoriale, en l'occurrence, de la chasser des montagnes afghano-pakistanaises. Les talibans ne sont pas en eux-mêmes la cible.

2. Une implantation armée s'empêche par le contrôle du territoire associé au contrôle de la population - bref, la contre-guérilla. Le général Cann l'expose très simplement, en tentant de l'appliquer au cas de l'Afghanistan : (ici, les premiers paragraphes surtout). "Contre une guérilla, une opération mécanisée ou motorisée frappe presque toujours dans le vide, tellement ses prémices sont voyants et bruyants et surtout parce qu’elle est liée à un réseau routier précaire."

3. Une contre-guérilla efficace demande de très grands moyens humains et une grande familiarité culturelle avec la population ; nous n'avons ni l'un ni l'autre. Le contrôle des montagnes appartiendra donc, pour longtemps, aux clans pachtounes. La "victoire" relève d'un accord avec eux.

Le général Georgelin l'écrivait déjà il y a un an : "Aujourd'hui, on ne règle pas les conflits (...), on les gèle (...). Il faut donc s'interroger profondément sur la nature de nos engagements". Ainsi en Afghanistan, "nous sommes loin d'avoir enclenché le cercle vertueux qui nous permettera de nous retirer". (...). "Au Liban comme en Afghanistan ou en Irak, la force militaire ne suffira pas à dénouer la crise".

La France est mal placée pour contribuer à un accord politique avec les Pachtounes, en raison de ses liens depuis 25 ans avec les Tadjiks, mais elle peut pousser à la définition d'une stratégie politique, diplomatique à l'intérieur de l'Afghanistan, qui manque totalement aujourd'hui. Existe-t-il un représentant politique de la coalition en Afghanistan ? s'il y en a un, je doute que ce soit lui qui définisse la stratégie de nos armées. Et même qu'il ait une lettre de mission digne de ce nom. Déjà, s'il était sunnite, ça faciliterait peut-être la compréhension mutuelle.


En complément, mon souvenir d'Amin Wardak, Pachtoune, qui était en France le "héros de la résistance" avant qu'on ne commence à parler du commandant Massoud.

Lien court vers ce billet : http://doiop.com/demsf_afghanistan