Après le théâtre sarkozyen de "l'expulsion" de Roms payés pour passer volontairement quelques jours de vacances au pays, voici venir le tintillement des 30 pièces que demanderait François Fillon aux étrangers sans papiers.

J'allais dire aux illegals, façon américaine, tant cette initiative va dans le sens, dénoncé jadis par Philippe Séguin[1], d'une légalisation de l'illégalité. De l'entrée non seulement dans les moeurs, mais dans les règlements et les grilles tarifaires, de deux couches sociales : les titulaires et "ceux qui sont là mais n'ont pas vocation à l'être, mais sont là quand même". Intouchables, mais touchés par le fisc.

Les 30 euros demandés par M. Fillon, évidemment ce n'est rien, un peu plus que le prix d'une consultation : 1,1% seulement du coût des soins dispensés aux illegals. Trois 10000èmes du trou de la sécu… Ce n'est rien : tout juste des frais de dossier, un timbre fiscal que l'on pourrait demander pour constituer la demande d'AME. Ni vu ni connu. Pas de quoi le mettre sur la place publique.

Et toute l'astuce est là : mettre sur le tapis médiatique la grande générosité de la République française sarkozyenne, qui soigne gratuitement, le saviez-vous ? tous ces gens qu'on la soupçonne de persécuter. Si gratuitement, si généreusement que même 30 euros, ce n'est rien par rapport à tout ce qu'on leur donne, à ces gens…

Qui fera remarquer (allez, j'essaye) que selon ces mêmes chiffres, le coût moyen de la santé pour un illegal apparaît moindre que pour la moyenne des Français ? (2600 euros, contre 3000 environ, non compris les dépenses des ménages eux-mêmes[2]).

Qui fera remarquer que l'AME n'est que la petite soeur de la CMU, "universelle" mais réservée aux Français et résidents en situation régulière, pour laquelle aucune cotisation n'est à verser[3] ? Celle-ci couvre 1,7 millions de personnes (2007) soit 8 fois plus que l'AME.

Qui fera remarquer qu'en France, les soins de santé sont tout simplement gratuits en quasi-totalité, mis à part les lunettes et prothèses dentaires, mis à part les dépassements des tarifs SécSoc par certains médecins et cliniques ? Tout simplement gratuits parce que c'est la seule façon rationnelle de gérer un tel système. Le gros des coûts, c'est l'hospitalisation, et quand vous avez besoin d'être hospitalisé, il faut bien que vous le soyez ; plus les médicaments, dont les prix sont négociés par l'État (pas par les patients, même illégaux) et qui font la visible fortune des labos, pas celle des patients, même illégaux. La multiplicité des petits prélèvements, des découpages de % de remboursement sur des produits à trois euros ou des consultations à 20, ce n'est pas de l'économie, c'est de la bureaucratie chronophage et coûteuse.

Évidemment, tout cela coûte cher. Évidemment, à l'exception délirante des États-Unis, la France est le pays dont le système de santé coûte le plus cher[4]. Évidemment, les décideurs du système de santé, de gauche comme de droite, jettent un voile pudique sur cette inefficience et ses causes ; les décisions de tous ces gouvernements poussent à la dépense et permettent à tout le monde d'en profiter : médecins[5], assureurs, labos, voire bureaucratie administrative… tout le monde sauf les malades, bien-portants qui pourraient être un jour malades, et citoyens-contribuables.

Évidemment, j'aimerais bien que tout cela soit mis sur la place publique, examiné, débattu, amélioré, rendu enfin efficace au service du public.

Est-ce que ce sera le résultat de l'offensive de M. Fillon ? Doit-on préférer le silence gêné de la gauche sur le coût du service public, ou la désignation par la droite de boucs émissaires ? Hier on faisait payer "une pièce" (Jean-Pierre Raffarin) par consultation, en prétendant "responsabiliser" ainsi de prétendus irresponsables ; aujourd'hui on met en scène les illégaux en leur réclamant 30 euros… Oh le beau nombre !


Sur ce blog : Restrictions sur l'aide médicale d'État (AME) (2004 !) et autres billets sur le système de santé.

Notes

[1] Selon mon souvenir. Ça date.

[2] La santé représente 11% du PIB, qui s'élève à environ 1950 milliards d'euros pour 64,7 millions d'habitants. 9,4% environ sont à la charge des ménages (PDF).

[3] pour les bénéficiaires de la CMU-Complémentaire, bien plus nombreux ; il semble que tous les bénéficiaires de la CMU, ou presque, aient aussi la CMU-C.

[4] en % de la richesse nationale. Par comparaison avec les autres pays de l'OCDE. Source DREES, base 2007. Ou OCDE, base 2007.

[5] Du moins ceux qui trouveront normal de "profiter du système". Et plus précisément, des spécialistes : les généralistes gagnent moins en France que dans la moyenne des autres pays de l'OCDE.