Paul Krugman (via Art) explique ce que vous savez déjà depuis longtemps : nos États payent leurs dépenses (salaires des instituteurs, retraites…) en empruntant l'argent à nos banques, qui elles-mêmes détiennent cet argent… sous forme de bons du Trésor de Grèce ou d'ailleurs… lesquels ne valent pas tripette.

Dès qu'il faudra admettre cela, nos banques n'auront plus d'euros à prêter à nos États, qui auront donc bien du mal à payer les instits[1].

Alors, attachons nos ceintures : comment ça va se passer après, quand l'argent de l'État ne vaudra que la convention consistant à l'accepter ? quand, ne pouvant plus emprunter d'euros, ils paiera les instits en assignats ?

Nous avons l'expérience de cette situation, non seulement par la Révolution, mais aussi par les temps de guerre. Dans ces périodes, l'État dépense en armements bien plus que ce qu'il possède ; mais les usines comme les alliés ont trop besoin de lui pour refuser son argent. Et la paix venue, on tire un trait sur les traites dans la joie et la bonne humeur — pour le gagnant ; le perdant s'enfonce dans l'hyperinflation et la crise à répétition.

Et si cela arrive en temps de paix ? On a besoin de colonels, diront les Grecs[2], ou de généraux, selon l'expérience répétée des Espagnols[3], pour faire tourner l'économie nationale comme si c'était en temps de guerre.

Il y a cependant une différence heureuse par rapport au temps de guerre. La guerre détruit des personnes, des villes, des usines. Les munitions et les veilles des soldats ne produisent aucun bien utile, aucune richesse future. Tandis que le travail des instits, même rémunérés à crédit, éduque nos chères têtes blondes. Et que les soins de santé, payés en monnaie de singe, soignent bel et bien. Nos États en faillite produisent et redistribuent des richesses ; la seule question est de savoir qui, au final, sera le bénéficiaire de ces richesses, et à qui elles auront été prises.

C'est facile à voir dans le cas américain ; là-bas, le gouvernement paye ses dépenses de façon élémentaire : il dit au FED de déclarer que son argent existe. Beau raccourci : pas de commission à payer aux banques commerciales[4]. En clair : au lieu de se financer par l'impôt, il se finance par un prélèvement proportionnel sur tous les détenteurs de dollars dans le monde.

Les pays de la zone euro font pareil, avec juste une étape de plus : le passage par une dette irremboursable envers des banques ou États étrangers. Certes quelques gouvernements, qui n'ont pas compris le truc — Allemagne, Finlande… — et limitent sottement leurs dépenses à l'argent qu'ils ont, donnent ainsi à la monnaie un peu de valeur, qu'exploitent aussitôt les "passagers clandestins" comme la France ou la Grèce. Mais les États "bien" gouvernés ne pourront pas tenir longtemps ce rôle de bons cons.

En résumé, l'euro comme le dollar ne sont plus garantis par rien de sérieux, et devraient s'effondrer.

Sauf qu'il n'y a rien à la place.

Euro et dollar sont en duopole sur le "marché des monnaies".

Ni la Chine, ni l'Inde, ni le Brésil, ni les exportateurs de pétrole, n'ont décidé de faire de leur monnaie nationale une monnaie internationale, qui serait la monnaie de leur commerce extérieur, totalement convertible, donc hors de leur maîtrise.

Ils préfèrent encore acheter et vendre avec nos euros et dollars pourris.

C'est là que la partie de poker se tend.

Aussi longtemps qu'euros et dollars circulent, tout le monde a intérêt à s'en servir pour acheter un maximum de capital (de terrain, d'avions, de sociétés privatisées, de PSG), même cher. Parce que, quand ces monnaies s'effondreront, le joueur avec la plus grosse pile de capital physique — s'il a aussi les armées pour défendre ces biens — sera inattaquable. La faillite sera pour les autres.

Seule chose certaine : la partie ne sera pas éternelle. Exactement comme la pyramide de Bernard Madoff — qui a tout de même tenu quelques décennies. Le système public français (Etat, Séc Soc, collectivités[5]) dépense en gros, depuis 31 ans, 105 quand il encaisse 100. Ça ne fait pas une grosse différence, mais ça ne peut pas être éternel. Le jour où ça s'arrêtera, il faudra dépenser seulement 100 (ou 95, car la réduction des dépenses créera de la récession) — et faire savoir aux prêteurs de bien vouloir faire leur deuil de leur argent.

C'est pour dans quelques heures, ou, par la beauté d'une demande collective de grâce, pour dans quelques semaines. Et, allez : on va voir si le tandem Sarkozy-Lagarde est vraiment magicien. Si oui, s'il a ce don, ça tiendra jusqu'au 7 mai 2012 matin.

Notes

[1] C'est bien pourquoi la BCE essaye d'entretenir encore (combien de semaines ? de jours ?) la fiction de la non-restructuration.

[2] Plus précisément 23% d'entre eux selon un sondage.

[3] Depuis que la flotte britannique les a coupés de l'or du Pérou.

[4] Cette solution est promue depuis quelques mois, pour la France, par divers "alter-financeurs" de droite et de gauche, qui s'en prennent à l'euro comme au statut de 1973 de la Banque de France

[5] La "dépense publique au sens de Maastricht"