Le comportement collectif du personnel, tel qu'il ressort de l'article de Capital (source Reuters), est effarant.
"Le Tüv envoyait un calendrier des audits et, à partir de là, la directrice qualité organisait chaque service en fonction de ce qu'il fallait changer ou cacher, notamment la matière première", confie lors de son audition l'ancienne responsable hygiène et sécurité.
"C'était toujours oral, on n'avait pas le droit de faire des courriers par intranet de tout ça. Chacun faisait attention que n'apparaisse pas le gel PIP", poursuit-elle.
Après chaque visite de l'organisme vérificateur, les "services fêtaient ça en faisant un pot et ça repartait comme avant".
Outre les deux sites de production de la Seyne-sur-Mer et de Six-Fours-les-Plages, PIP avait un troisième site qui servait notamment à stocker les produits.
"Quand je suis arrivé au service sécurité, j'ai découvert un troisième site", dit encore une ancienne salariée. "A chaque fois qu'il y avait un contrôle, tout était mis là-bas".
Une variante consistait aussi à mettre le matériel que la société souhaitait dissimuler dans un camion.
"Par habitude, depuis 1997, nous cachions les produits permettant de fabriquer le gel PIP", résume Jean-Claude Mas.
"Directrice qualité", qu'ils disaient…
J'hésite à utiliser le mot de cynisme : il faut bien manger, et sans doute boire aussi, pour oublier qu'on a honte. C'est humain.
Mais combien de temps a-t-il fallu pour qu'un salarié donne enfin l'alerte !!![1]
Et quelles conséquences énormes, sanitaires bien sûr, mais aussi économiques, pour notre pays qui a exporté ces centaines de milliers de prothèses : qui va devoir payer ?
La France abrite-t-elle d'autres entreprises où la fraude et l'irresponsabilité règnent ainsi en valeurs collectives ?
J'entendais parler dans un reportage télévisé, d'une entreprise polluante et des conseils qu'elle avait reçu d'un agent de la DRIRE (direction préfectorale chargée du contrôle de l'industrie) sur… la meilleure façon de tromper les contrôles pour que la concentration de produits polluants apparaisse minime…
Quelle nouvelle croissance, sans parler de développement durable, peut être espérée dans ces conditions ?
Encourager le lancement d'alerte par les salariés, ce n'est pas seulement une question d'éthique ou de société. C'est aussi une condition pour que notre pays évite de nouvelles catastrophes économiques.
Notes
[1] P.S. 15 janvier 2012, 17:51 : apparemment je me suis trompé (Cf. discussion en commentaires), la découverte aurait été faite lors de la visite inopinée d'un inspecteur.
J'entends souvent dire que les politiques sont déconnectés des réalités du terrain mais on les y aide bien. J'ai été témoin en 1995 d'un exemple de maquillage de la réalité à l'intention d'un homme politique, le Maire de Bordeaux et à l'époque Premier Ministre Alain JUPPE, alors que je travaillais comme simple manœuvre dans une célèbre société d'embouteillage sur les quais de Bordeaux depuis une semaine en tant qu'intérimaire, dans des conditions dignes des Temps Modernes de CHAPLIN.
Les conditions de travail étaient en deçà des normes de sécurité avec les carters de sécurités absents sur les chaines afin de fournir de meilleures cadences, les locaux n'étaient pas propres, les peintures de sol décrépies, etc. Lorsque nous apprîmes que le Maire viendrait visiter l'entreprise, la production fut ralentie pour permettre de redonner un coup de peinture, nettoyer les locaux et remettre tous les carters de sécurité. Le jour de la visite nous pûmes présenter un décors exemplaire et le Premier Ministre et Maire put se féliciter que Bordeaux possèdât une entreprise dynamique et moderne. Le lendemain, les carters furent enlevés...
Dans bien des cas, la culture du profit dans l'entreprise dépasse l'intérêt des consommateurs et je ne parle pas de celui des travailleurs, c'est triste. J'ai bien peur que les concurrences (déloyales ?) de pays émergents n'arrangent en rien la situation. Une OMC qui intervient autoritairement afin de lever les barrières commerciales entre les pays serait mieux inspirée de créer une INTERPOL du commerce afin d'imposer des règles et des contrôles inopinés de production, tous les contrevenants seraient alors exclus des circuits d'exportation.
@ JL : merci pour ce témoignage et pour votre excellente idée. Effectivement, l'OMC est une justice sans police. C'est peut-être pour cela que tant de gens doutent de sa justice.
"Encourager le lancement d'alerte par les salariés"
Qui ne serait pas d'accord pour dire que les salariés doivent dire quand quelque chose ne fonctionne pas dans une entreprise ? J'ai pourtant des doutes sur le fait que nous devions encore créer quelque chose de nouveau pour que les salariés se sentent libres !
Nous avons l'inspection du travail, la DRIRE pour certains (je ne sais pas ce qu'il vous faut de plus comme police), des services de police joignable 24h/24 et qui se déplacent relativement facilement, les documents uniques (obligatoire pour toute entreprise) qui évoquent de manière obligatoire la prévention des risque psychosociologiques et qui sont à disposition des salariés, la médecine du travail (visite médicale obligatoire), le CHSCT, le CE et les délégués du personnel (selon la taille des entreprises pour ces trois points)... j'en oublie probablement, les lecteurs courageux m'excuseront... mais d'autres facteurs sont aussi au service de la liberté des salariés : la libre concurrence, les pauses obligatoires (qui sont concrètement et c'est très bien des forums de discussions), les heures de délégation (pour les délégués du personnel) qui ne sont contrôlées par personne, les boîtes à idées, les médias (qui paient pour avoir des scoops)... bref, liste non exhaustive...
Alors, oui, le SMIC n'est pas suffisant pour faire vivre une famille, oui il y a presque 10% de chômage, mais non les salariés ne sont pas esclaves des entreprises et sont libres... en France en tout cas. Alors, par pitié, utilisons bien les outils actuels et n'en rajoutons pas de nouveau.
Directrice Qualité, c'est rarement un salaire pour boire et pour manger uniquement...
J'espère très sincèrement que tous ceux qui se sont faits complices de cet immondice qu'est désormais devenue l'affaire PIP seront condamnés à hauteur de ce qu'ils savaient et des dangers pour la santé que par leur silence ils ont couverts.
Place à la Justice!
@ jbl : "pour que les salariés se sentent libres", c'est le point : la liberté va avec la responsabilité.
Soit on les considère comme des esclaves (perpective que tu rejettes, JF le démocrate et moi aussi), soit on les considère comme co-responsables.
La loi protège très mal le salarié qui fait connaître des faits graves survenus dans son entreprise ; en fait, elle ne le protège que dans quelques cas particuliers, comme les discriminations et la corruption, Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Lanceu...
Je suis bien d'accord avec toi (jbl) sur le fait que les dispositifs "obligatoires" sont une surcharge de travail très souvent contre-productive. Il serait bien préférable de pouvoir compter sur la capacité d'initiative et le bon sens des salariés. Hélas, dans cet article, c'est plutôt un fonctionnement de "communauté délinquante" qui est décrit (Cf. la définition de Crozier rappelée dans http://christophe-faurie.blogspot.c... )
Et réellement catastrophique pour la réputation des produits français à l'étranger...
Les dispositifs obligatoires sont contre-productifs car ils sont perçus par les employés en bout de chaîne comme une décharge de responsabilité de leur hiérarchie.
Je suis aujourd'hui directeur d'une structure d'accueil collectif et nous avons mis en place la méthode HACCP depuis 2002 pour les cuisines, de la réception des denrées alimentaires jusqu'à l'assiette du client. J'ai trouvé très intéressant l'attitude des inspecteurs des services vétérinaires qui nous ont accompagnés dans la mise en place des procédures et surtout ils ont apprécié que je les ai consulté et sollicité depuis le début. Malheureusement, leur sous-effectif les contraint souvent à n'accomplir que des tâches de contrôles/sanctions et moins de pédagogie/prévention.
Les services de l'état devraient consacrer beaucoup plus de moyens à l'accompagnement des PME dans la normalisation, l'amélioration des process et de normes de qualité. Répondre à une demande nationale et internationale demande maintenant des connaissances fines des normes et des lois. J'ai ai marre de toujours entendre que l'Allemagne est un modèle pour ci ou ça, mais force est de constater que l'effort gouvernemental à l'attention des PME est sans commune mesure avec celui fourni en France. J'ai même la désagréable impression que nous consacrons la quasi entièreté de nos moyens à la sauvegarde des intérêts de grand groupe au détriment des forces vives qui résident dans l'artisanat et les PME. Ceci se double du fait que ces grands groupes ont, durant cette dernière décennie, réalisé des marges substantielles sur une sous-traitance constituée justement de PME et qui maintenant se retrouve à sec dans une contexte des plus difficiles.
@ JL : merci pour ce témoignage très instructif. Et bien dans le ton de ce que nous avons entendu aujourd'hui au forum "agenda 2020".
"Encourager le lancement d'alerte par les salariés, ce n'est pas seulement une question d'éthique ou de société."
En somme, vous souhaiteriez que les salariés aident à faire condamner ou fermer l'entreprise qui les fait croûter ?
Jamais entendu parler de la rationalité limitée d'Herbert Simon et de Michel Crozier ? Ça vaudrait le coup d'y aller voir...
Eh bien, chez PIP, il y a eu finalement, un salarié qui a eu ce courage. Chez Servier, s'il y en avait eu un (parmi ceux au courant de la réalité de la molécule), il aurait sauvé des centaines ou des milliers de vies. Quelquefois, ce genre d'argument importe pour certaines personnes.
P.S.- Sur le même sujet (whistleblowing) dans le domaine environnemental, Cf. http://www.ouest-france.fr/actu/societe_detail_-Le-delit-ecologique-dans-le-Code-penal_3636-545194_actu.Htm