Me voilà une fois de plus minoritaire : j'ai mal digéré "Django unchained", tout comme j'avais pris "Inglorious basterds" en travers de la gorge.
J'avais entendu parler de la polémique lancée ou relayée contre l'emploi du terme "nigger", mais j'étais d'accord avec François Durpaire : "dans une oeuvre historique, comme c'est le cas du film de Tarantino (…) cela semble incontournable".
Bon, mais — dans quelle "oeuvre historique" peut-on imaginer un esclave convoquant son maître dans la bibliothèque de la villa, et se servir un verre en l'attendant, et se caler dans un fauteuil, et rester assis quand entre le maître ?
Le crime de masse contre l'humanité, qu'était "l'esclavage des Nègres", sert de prétexte à un comic : je dois être un vieux ringard, ça ne passe pas. Ça aurait passé, sans doute, si c'était un ''comic" proprement dit, une BD de superhéros où tout valdingue, les méchants, le décor et la vraisemblance avec. Mais en film, je le ressens comme une insulte.
J'avais eu la même réaction dès la première scène de "Inglorious Basterds" — comme si une famille juive avait pu être assez demeurée pour choisir, comme planque, une maisonnette isolée sur un plateau, facile à surveiller depuis des lieues à la ronde. Ce gars ne sait pas que l'Histoire est tragique, ou il s'en fout[1].
J'ai eu la même réaction hier encore, je prenais le Canard enchaîné en kiosque, prêt à en acheter un exemplaire pour la première fois depuis les élections — et je tombe sur le dessin en 1ère page, où Benoît XVI cherche, selon l'auteur, à s'inscrire aux Vieillesses Hitlériennes. Apparemment, le dessinateur n'en a rien à foutre, lui non plus, d'insulter la mémoire des opposants au nazisme, de les mettre dans le même sac que les criminels, si ça permet à son dessin d'accéder à la première page. J'ai reposé le volatile et économisé 1 euro 20.
Me voilà un vieux réac, donc.
Le vieux réac tente de garder un soupçon d'humanité : je remercie ici publiquement "Mehdi"[2], le hotliner de Free que j'ai eu au téléphone ce matin.
Premièrement, il était super courtois et ne prenait pas mal mes objections.
Deuxièmement, ses indications m'ont permis de trouver comment résoudre mon problème et remettre en route le réseau internet de la maison.
Troisièmement, je n'ai pas pu le remercier en direct, parce que dès que j'ai touché la Freebox, le réseau s'est coupé et la communication aussi — la source du problème était sans doute un faux contact.
Donc : Mehdi, merci !
Notes
[1] Bon : j'avais adoré Pulp Fiction. Est-ce Tarantino qui vieillit, ou moi, ou les deux ? Et j'avais trouvé sublime "La vie est belle" de Roberto Benigni. Ce film aussi était une fable, qui prenait avec l'Histoire bien des libertés. Mais cette fable-ci m'avait semblé juste, à la fois pour la mémoire des morts et pour l'esprit des vivants.
[2] Oui, il s'est présenté par son seul prénom. Bravo à Free de ne pas imposer à tous ses hotliners/hotlineuses de se présenter comme "Dominique Martin".
Montesquieu a dit deux choses qui me plaisent bien parce qu’elles restent applicables encore maintenant :
- « L’argent est très estimable quand on le méprise. » et
- « Ceux qui mettent au jour quelque proposition nouvelle sont d’abord appelés hérétiques. »
Mais relire « l’esprit des Lois » avec ce racisme primaire et pourtant normal à l’époque est un terrible choc pour l’humaniste moderne.
Je comprends et approuve ton indignation. Le réalisateur de ce film est un violent manipulateur. Quant aux journalistes, leur devoir est d’apaiser les esprits au lieu de flatter les bas instincts. Y compris et surtout les journaux satiriques. Qui eux sont là pour dénoncer les abus de pouvoir et les injustices, défendre les minorités et provoquer la réflexion. J’espère donc qu’une plainte sera portée pour cet affreux dessin du Canard enchaîné, lui qui se disait "libre" à une certaine période.
Vous avez raison : il ne convient pas de rire de tout. Celui qui plaisante de choses graves ne rit pas, mais ricane.
Je ne comprends pas ta réaction sur Django. Tarantino n'est pas du tout complaisant avec les négriers, et l'esclavage y est décrit comme une abomination. Je trouve au contraire Tarantino bien courageux de faire un film qui crache au visage du mythe américain d'un Far West conquérant et viril, avec ses deux héros improbables ridiculisant les autochtones : un esclave noir et un allemand précieux.
Le racisme est un sujet qu'il a déjà traité avec Jackie Brown, très bon film par ailleurs, et on ne peut pas lui dénier une sincérité certaine dans ce domaine.
Quand au Canard, c'est effectivement de très mauvais goût. Peut-être le dessinateur a-t-il l'excuse de ne pas savoir que l'embrigadement du futur Benoit XVI dans les jeunesses Hitleriennes était obligatoire, mais j'en doute.
@ Françoise Boulanger : ce texte fin et grinçant de Montesquieu est pour moi un des sommets de la littérature politique (Alain Juppé l'aime bien aussi, je crois, je lui avais dédié cette petite actualisation : http://demsf.free.fr/C490642076/E20... ). Merci d'y ajouter ces deux citations magnifiques, que je ne connaissais pas.
@ Michel Volle : je note votre candidature à l'association des vieux réacs ! Quand nous serons trois, nous formaliserons.
@ Hugues : tu fais bien de rappeler "Jackie Brown", auquel j'avais adhéré à un bon 200% ! En écrivant le billet, le titre me manquait. Et je sais bien que Quentin Tarantino est un fan absolu, et un grand connaisseur, de la culture afro-américaine. Donc, bien sûr, pas un gramme de racisme dans "Django unchained", ni de complaisance envers l'esclavage. Mais un traitement kitsch, une recomposition in-sensée de la façon dont il pouvait être vécu à l'époque. Même chose, donc, pour "Inglorious Basterds" : même mise en scène d'un match simplet "super-gentils contre méchants grinçants". Même sociologie de Disneyland.
Je comprends bien que le problème vient de la façon dont je regarde l'image de cinéma, trop au premier degré. (Problème qui ne se pose pas avec "Captain America", parce que les effets spéciaux des armes bleues (gentils !) et rouges (méchants !) qui zèbrent l'image, me rappellent à chaque seconde que "c'est juste une vanne".)
Et c'est sans doute simplement parce que je suis de l'Ancienne Génération, celle qui n'avait pas la télé dans son enfance ! qui n'a pas été "éduquée à l'image", et vaccinée contre ses illusions.
Je n'ai pas encore vu Django, mais je confirme qu'Inglorious, au-delà de l'esthétique, m'a laissé un goût étrange. Je préférais Jackie Brown, de loin.
Pour le Canard, dommage, tu as raté une excellent 7e page. Je te recommande de l'acheter quand même et de jeter la premiere page qui t'a choqué, le reste est du bon Canard. Sans cheval à l'intérieur.
Le comique des films vient de l'exagération absolue : on a des personnages, qui dans une situation triviale, tiennent des discours pompeux en langue soutenue. Jackie Brown était plus retenu, plus touchant, quelque chose de "Johnny Guitar"
Je ne suis pas choqué par le dessin du canard, mais le parallèle est faux : s'il a commencé sa vie ainsi, parce que tous les jeunes allemands étaient embrigadés, il ne la finit pas dans la même tonalité. Bien sur, le dessinateur a préféré le mot d'esprit, le parallèle des termes, à la vérité. Un dessin d'humour doit peut-être vrai, avant d'être drôle, surtout s'il y a ambiguité sur le sens. J'espère que le dessinateur n'est pas assez idiot pour croire à ses jeux de mots.
Par exemple, dans ce dessin, j'espère que l'on comprendra que l'exemple est burlesque et que le crobard n'est pas à prendre au premier degré.
http://triton95.wordpress.com/2013/...
J'avais écris que Django était d'abord un hommage à Sergio Corbucci, rien d'autre.
http://philippegibault.wordpress.co...
Frédéric, tu te soupçonneras moins d'être réac grâce à cet article :
http://culturevisuelle.org/luciddre...
qui m'a évité une bien déconvenante expérience, manifestement. Si Inglorious... est dans la même veine, j'éviterais aussi de le visionner (excusez mon retard).
J'avais bien aimé Jacky Brown, un bon polar, mais sans vertu métaphysique quand même.
Un article interessant sur Django
http://www.slate.fr/story/66903/tar...