Décidément, ma semaine américaine aura été riche en chutes : après celle de la Tribune de Chicago (chapitre 11), celle du gouverneur de l'Illinois (arrêté puis relâché sous caution pour avoir tenté de monnayer le siège sénatorial de Barack Obama), celle des constructeurs automobiles (qui se dirigent vers le "chapitre 11" après le refus du Sénat de les refinancer)… il y a eu celle de Bernard Madoff, gestionnaire d'actifs qui aurait expliqué tout uniment à la police :

"Cette entreprise n'est qu'un vaste mensonge, une sorte de schéma de Ponzi géant." - un Ponzi c'est-à-dire une fraude pyramidale : les dividendes élevés versés par Madoff attiraient de nouveaux clients… dont les apports payent lesdits dividendes.

C'est une jolie phrase, "cette entreprise n'est qu'un vaste mensonge". "Vaste", à 50 milliards de dollars, on peut le dire : cela correspond au salaire annuel chargé de plus d'un million de personnes. Mais surtout, le mot "mensonge", c'est un registre inhabituel en économie. Que disait, en fait, la société Madoff ? Il était où, le mensonge ? La Une n'est plus accessible, les pages intérieures le sont encore.

Et le mensonge, c'est de la technologie - de la manipulation de données qui savait cacher l'essentiel, le fond derrière la forme, l'absence de fonds derrière la rapidité des transferts.

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Depuis les 1960, "Madoff a assuré une croissance ininterrompue" - des retours chaque année positifs - "ce qui nous a permis de renforcer continuellement nos ressources financières" - c'est presque la définition de la pyramide.

"La sophistication de nos automates propriétaires, et notre service sans pareil à nos clients, assurent une qualité d'exécution sans égale sur notre secteur."

"La qualité d'exécution" fait référence à la rapidité dans la passation des ordres, mais l'argumentaire va au-delà :

"Un des ingrédients essentiels de la valeur ajoutée offerte par Madoff Securities, c'est l'intrication entre technologie avancée et traders expérimentés. L'entreprise est largement reconnue, sur le secteur financier américain, comme à l'avant-garde du trading informatisé."

... "Madoff Securities utilise aussi ses ordinateurs pour repérer les occasions de couvrir les titres en sa possession. L'entreprise utilise une grande diversité de futures, d'options et d'autres instruments pour couvrir ses positions et limiter ses risques. Si ces stratégies de couverture sont importantes pour protéger la situation financière de l'entreprise, ce sont en fin de compte les intérêts de nos clients qui sont protégés par notre politique de grande prudence en matière de gestion du risque".

Ce n'est pas la technologie seulement qui attire les détenteurs de fonds, semble reconnaître au final cette page argumentaire. La confiance est une question de responsabilité personnelle.

"À notre époque d'organisations sans visage, appartenant à d'autres organisations sans visage, Bernard L. Madoff Investment Securities LLC rappelle une époque antérieure de la vie financière : le nom du propriétaire est écrit sur la porte. Les clients savent que Bernard Madoff a un intérêt personnel à maintenir la réputation intacte de valeur, de justice (fair-dealing), de haute rigueur éthique, qui ont toujours été l'emblème de l'entreprise."

"Une grande revue financière américaine a applaudi le rôle de Bernard Madoff pour 'contribuer à faire du NASDAQ un système plus rapide, plus juste, plus efficace et plus international'. … Bernard et (son frère) Peter Madoff ont contribué à l'informatisation intégrale du National Stock Exchange."


Précédent billet quasiment sur le même sujet : "La crise financière comme crise de l'informatisation", reprise d'un billet de Michel Volle, ici.