Monsieur le Président de la République,

Permettez-moi de vous présenter toutes mes félicitations pour votre élection brillante, pour la patience avec laquelle vous avez affronté ces cinq mois de dictature et de troubles, pour la justesse et l'optimisme de vos propos de ces dernières semaines, alors que vous êtes enfin en mesure d'exercer le pouvoir effectif que le peuple ivoirien vous avait confié.

Je me réjouis tout autant du soutien constant qui a été apporté au peuple ivoirien par la mission de l'ONU en Côte d'Ivoire et, à son appui, par la France, conformément au mandat confié par le Conseil de Sécurité.

Vous savez bien qu'un mot de notre Président de la République avait choqué aussi bien les Français que les Ivoiriens, quand M. Nicolas Sarkozy avait prétendu accorder un délai à M. Laurent Gbagbo pour quitter le pouvoir, et en fixer le terme. Il n'avait évidemment pour cela aucune légitimité, et ces propos, sans doute inconsidérés, ont prêté le flanc à l'accusation de néo-colonialisme.

Les mots de trop, dans des situations de crise, cela peut arriver et ce n'est pas toujours un drame. Celui-ci aurait dû conduire M. Sarkozy à se faire plus discret, et à se faire représenter à Yamoussoukro plutôt que de s'y afficher lui-même. Il ne l'a pas compris.

Pire, il s'est permis d'affirmer que la France garderait "toujours" "une présence militaire permanente" en Côte d'Ivoire "pour protéger nos ressortissants (une dizaine de milliers de personnes)". Mais de quel droit ?

Je crains que laisser M. Sarkozy se comporter ainsi ne lance les relations ivoiro-françaises, et plus largement les relations entre d'autres pays d'Afrique et la France, sur des bases profondément malsaines.

Monsieur le Président de la République,

Dès l'indépendance de votre voisin la Haute-Volta, son président Maurice Yameogo, que vous avez certainement bien connu par la suite, a donné congé aux forces françaises présentes à Bobo-Dioulasso. Ni la Haute-Volta devenue Burkina-Faso, ni les ressortissants français ou étrangers de ce pays, n'ont eu, que je sache, à la regretter.

Dans le bras de fer permanent que constitue la politique ivoirienne, peut-être avez vous besoin d'une "garde suisse", d'une force armée au service des seules institutions, et issue d'un pays ami. Je suis certain que la coopération entre États de l'UEMOA, et plus largement de la CEDEAO/ECOWAS, permettrait au gouvernement ivoirien, ou à d'autres, de bénéficier d'une telle assistance, selon un mandat décidé ensemble par les États.

Je suis certain que vous pouvez donner congé à la "présence militaire permanente" auquel notre Président prétend, et je crois que cela pourrait contribuer tant à la réconciliation entre Ivoiriens (pour autant que je puisse avoir là-dessus une opinion) qu'à une coopération amicale et durable, fondée sur l'égalité et le respect mutuel, entre le pays que vous présidez et celui dont je suis citoyen.

Veuillez agréer, Monsieur le Président de la République, l'hommage de mon profond respect.