Réflexions d'après-1er tour des Régionales…

Mon premier sentiment c'est que nous, le centre démocrate, avons exactement le résultat attendu : 0%, puisque nous étions absents dès avant les élections. Craignant d'obtenir 3%, c'est-à-dire 0 siège, 0 influence.

Et en Bourgogne-Franche Comté, c'est exactement ce qui s'est passé. 0 ou 3%, même tarif.

J'ai donc, depuis mon bureau de vote, regardé cette élection comme si c'était sans enjeu, dans un pays étranger, lointain.

Bien sûr, que les nationalistes obtiennent 30% devrait me catastropher ; mais comme ce résultat, parfaitement prévisible, était effectivement prévu par les sondeurs, et que je l'annonçais moi-même depuis des années, ça ne me fait pas l'effet que ferait une nouvelle.

Les forces de changement au sein des courants démocrates ou républicains - MoDem, Cap21, Attac!, écologistes, libéraux, souverainistes, régionalistes, etc. — ont été broyées, arasées, anéanties en tant que forces de changement. Tout ce que les deux partis en place leur ont concédé, c'est un petit nombre de strapontins à condition de n'en pas bouger, de faire allégeance au pouvoir en place, de rester matin midi et soir de son côté.

C'était la conséquence logique des rapports de forces électoraux, dans un pays spectaculairement bloqué — ce que les politologues de télévision appellent "la logique de la Vème République".

Pour les électeurs — moins de 50% ! — qui jugent la classe politique actuelle à jeter, il y a rarement plus d'une alternative à la fois sur les écrans radars. Aujourd'hui, l'alternative, c'est le bateau pirate de la famille Le Pen.

Mon deuxième sentiment, c'est la désolation de voir les responsables politiques ne parler que de ça. Du FN. Des éventuelles solutions pour que le résultat du vote écarte le FN.

Comme s'il n'y avait plus de politiques, plus de Régions, plus de décisions à prendre, plus d'élections démocratiques, rien qu'un importun dont se débarrasser.


Dans une démocratie, ce serait différent.

Dans une démocratie, citoyens et représentants débattent ensemble des décisions à prendre pour améliorer les choses, pour résoudre les problèmes, pour préparer un avenir meilleur.

Dans une démocratie, les citoyens votent.

Et selon les suffrages recueillis par chacun, les représentants et leurs partis négocient. Ils essayent de constituer une coalition : c'est-à-dire un accord à la fois sur les décisions qu'ils prendront ensemble, et sur la répartition des responsabilités dans cette action commune.

Et les citoyens continuent à surveiller leurs représentants, à débattre, et se préparent à voter de nouveau, en tirant les leçons des résultats de cette coalition.

Démo-cratie, c'est le pouvoir effectif, le pouvoir d'agir, appartenant au peuple.


Oligo-paralysie, c'est le blocage des leviers du pouvoir par un tout petit nombre, toujours les mêmes, quelles que soient les étiquettes.

Dans une oligo-paralysie, rien que des visages qui prétendent "prendre leurs responsabilités" (comme si elles leur avaient appartenu !) : pas de négociation, pas de coalition, pas de programme d'action qui engage, donc, pas de décisions.

Dans une oligo-paralysie, le débat est orienté par les bataillons de "communicants" vers des sujets anecdotiques ; ils "créent des séquences" qui mettront en valeur les "postures" de quelques personnages.

Dans une oligo-paralysie, les communicants intoxiquent même leurs propres groupes d'élus. La langue de bois prend racine dans leurs cerveaux. Solide, confortable et nourrissante.

Dans une oligo-paralysie, la justice s'aligne sur les intérêts. Quand elle les contredit, on fait appel à un arbitrage privé judicieusement choisi. Quand l'arbitrage est annulé, l'argent qu'il avait attribué a franchi les frontières depuis longtemps. Les fonds publics pourront en récupérer un peu ? Pratiquement pas un responsable élu pour s'en réjouir. Au moins, on saura où vont, soit leurs sympathies, soit leurs intérêts.

Dans une oligo-paralysie, le vote sert uniquement à retoucher le partage du gâteau entre les clans en place. Si les électeurs votent "mal", les clans lancent des manoeuvres d'évitement, qui marchent ou pas… mais le vote est de toute façon sans conséquence, tant que les soutiens de l'oligarchie gardent 50% des voix plus une. Tant que la clé de voûte des institutions, l'Elysée, reste occupée par un représentant de l'un de ces clans, soumis aux pressions croisées des piliers de son "pouvoir", la construction est stable.

Je partage donc le pessimisme de Pierre d'Argenteuil. Pourquoi les partis en place renonceraient-ils à leur pouvoir de blocage, pourquoi choisiraient-ils, pour la France, un fonctionnement démocratique normal ? Leurs représentants sont presque tous proches de l'âge de la retraite : pourquoi remettraient-ils en cause, et disqualifieraient-ils, la façon dont ils font de la politique depuis un quart de siècle et plus ?

Je les imagine plutôt supporter quelques jours de cauchemar électoral de plus, et se réveiller lundi 14 rassurés : finalement, à quelques acolytes près dont il aura fallu sacrifier les mandats régionaux, l'oligo-blocage sera toujours là ; tout pourra continuer comme avant.

Et nous serions pour 2017 face au choix : encore 5 ans de blocage par les mêmes, ou partir pour 5 ans de casse.

Et vous ? Plus optimistes ?